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apprenait la présence de ces bons sujets dans les environs ; un autre jour, c’est la gouvernante de Bretagne elle-même qui n’ose se rendre de Rennes à Vitré, « de peur d’être volée par les soldats qui sont sur les chemins ! »

Ce n’est point par légèreté, encore moins par malveillance que Mme de Sévigné s’exprime ainsi, car elle est l’amie de M. de Chaulnes et dit un bien infini de M. de Pommereu, « le plus honnête homme et le plus bel esprit de la robe. » Les écrits contemporains de MM. de La Courneuve, Du Chemin, de La Monneraye et Morel, dépouillés par M. de La Borderie, ne laissent aucun doute sur l’exactitude de ces récits, dont les plus odieuses circonstances viennent se résumer dans les lignes suivantes écrites par un bourgeois de Rennes, témoin oculaire des événemens : « Plusieurs habitans de cette ville et faubourgs de Rennes ont été battus par des soldats qui s’étaient logés chez eux, et tous les soldats ont tellement vexé les habitans qu’ils ont jeté plusieurs de leurs hôtes et hôtesses par les fenêtres après les avoir battus et excédés, ont violé les femmes, lié des enfans tout nus sur des broches pour vouloir les faire rôtir, rompu et brûlé les meubles, démoli les fenêtres et les vitres des maisons, exigé grandes sommes de leurs hôtes et commis tant de crimes qu’ils égalent Rennes à la destruction de Hiérusalem[1]. »

Durant trois mois, ces bandits, dont la main de Louvois n’était pas encore parvenue à faire de véritables soldats français, continuèrent de rançonner la Bretagne. Ce pays n’en fut délivré que dans le courant de mars, par l’ordre que reçurent ces bataillons indisciplinés d’avoir à rejoindre en Alsace l’armée du maréchal de Luxembourg. Le 2 du même mois, le parlement enregistrait à Vannes l’amnistie qui, après une longue année de tortures, rendait à une grande province sa sécurité perdue, amnistie précieuse, quoique incomplète, puisque cent soixante-quatre individus demeurèrent placés sous la menace de poursuites criminelles. Cette nombreuse catégorie des réservés comprenait un seul gentilhomme, une douzaine de procureurs et de notaires, quatre curés de la basse Cornouailles, et plus de cent paysans, pour la plupart fugitifs ou cachés. Mais Rennes, où l’avidité du fisc arrêta seule la pioche des démolisseurs, attendit longtemps le retour de sa prospérité perdue et du parlement dont cette ville était si fière. Les supplications des états, réitérées à chacune de leurs sessions, ne furent accueillies qu’en 1689[2], et l’on regrette d’avoir à dire que cet acte de clémence si tardive

  1. Journal de Du Chemin.
  2. L’audience de rentrée eut lieu à Rennes le 1er février 1689.