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honte et la douleur dans l’âme, à faire repartir les troupes qu’il avait lui-même appelées ; malheureusement il perdit le bénéfice de cette concession, et parut reculer devant l’émeute, quoiqu’il fût d’une rare intrépidité. Avant qu’il eût pu donner des ordres pour le départ des troupes, tous les abords de son hôtel avaient été envahis par la foule, et lorsque le duc se présenta au balcon afin de haranguer la multitude, il fut assailli par une grêle de pierres et par un torrent de qualifications injurieuses entre lesquelles la plus douce, si l’on en croit Mme de Sévigné, était celle de gros cochon[1].

Deux jours après leur entrée menaçante, les trois malheureuses compagnies furent donc obligées de déguerpir de grand matin, protégées contre la populace par une nombreuse escorte de la milice bourgeoise. Celle-ci s’empara de tous les postes et eut la ville à sa merci. Le gouverneur, ne pouvant attendre aucun secours important de troupes régulières tant que l’armée française serait occupée sur le Rhin, prit le parti de patienter jusqu’à la fin de la campagne, en calmant par une politique temporisatrice une situation qu’il n’était pas assez fort pour dominer. Il se rapprocha donc du parlement, conclut un arrangement secret avec les fermiers du tabac pour la suspension de leurs opérations jusqu’à la prochaine tenue des états, et s’aventura même à promettre, sans aucune sorte d’autorisation ministérielle, comme le constate sa correspondance, la réunion à Dinan de ces états, attendue par tous comme la dernière espérance de la province. Le duc de Chaumes avait à la dernière session si bien réussi à compromettre la noblesse en séparant ses intérêts de ceux des autres ordres, qu’il ne considérait pas comme impossible d’obtenir par le concours de la majorité des gentilshommes une sorte de sanction légale des édits. Ce fut donc de très bonne foi qu’il travailla près du contrôleur-général et de M. de Pomponne, chargé des affaires de la province, à provoquer la réunion des états, à laquelle Louis XIV répugnait singulièrement, et l’on verra qu’en ceci son esprit politique servit très bien le gouverneur, qui ne fut pas trompé dans son espérance.

Cependant la position de M. de Chaumes était devenue intolérable dans une ville unanime, ainsi qu’il le reconnaît lui-même dans toutes ses dépêches, pour détester la politique dont il se trouvait être l’instrument fatal. Lorsqu’il parcourait les rues de Rennes, l’insulte s’y dressait pour lui sous toutes les formes. Il n’avait pas seulement à se défendre contre ce que Mme de Sévigné appelle la colique pierreuse, la sûreté et l’honneur de sa famille étaient tous les jours compromis. Les lettres de la marquise ne nous ont initiés

  1. Lettre du 19 juin 1675.