Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/856

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venaient de quitter Rennes sur le bruit des événemens pour veiller à la sûreté de leurs propriétés et de leurs familles, Dans cet isolement périlleux, le duc de Chaulnes agit comme tout autre aurait fait probablement à sa place. Il appela de Nantes quelques compagnies du régiment de la Couronne, force très insuffisante, mais la seule dont on pût alors disposer. Ces compagnies entrèrent à Rennes tambour battant et mèche allumée et se dirigèrent vers l’hôtel de ville, soit sur l’ordre du gouverneur, soit par une inspiration spontanée, car les lettres du duc de Chaulnes laissent quelque doute à cet égard. Le corps de garde de cet hôtel était occupé par la milice bourgeoise depuis le commencement des troubles, et celle-ci considéra comme une insulte l’invitation qui lui fut faite de l’évacuer. La bourgeoisie craignait l’émeute ; mais elle avait vu avec une humiliation qui chez elle faisait taire jusqu’à la crainte quelques centaines de soldats s’établir dans une ville à laquelle appartenait le privilège de ne pas recevoir de garnison ; or le privilège n’était pas alors moins sacré pour chacune des classes de la société française que n’est aujourd’hui pour nous le droit commun. C’est là une manière de sentir dont nous ne saurions désormais nous faire aucune idée, mais qui tenait à l’essence même de cette vieille organisation dont elle constituait la force et l’honneur. L’antipathie des bourgeois pour les soldats dominant donc pour ce jour-là la crainte que leur avaient antérieurement inspirée les émeutiers, les cinquanteniers affluèrent en armes à l’hôtel de ville, et les militaires, sur un ordre du gouverneur, s’empressèrent, afin d’éviter un conflit, d’évacuer le corps de garde pour s’établir dans les dépendances de l’ancien manoir épiscopal, résidence de M. le duc de Chaulnes. Le lendemain, les marchands serraient la main des faubouriens qui leur avaient fait si grand’peur la veille. Ils s’emparèrent en commun de toutes les portes, et rompirent les chaînes des ponts-levis, afin qu’on ne pût empêcher les habitans de la banlieue d’entrer en ville pour venir leur prêter au besoin main-forte contre la garnison. Il semblait que celle-ci fût devenue tout à coup le seul ennemi public. En présence d’une évolution aussi soudaine de l’opinion, ayant d’ailleurs à compter avec le parlement, qui, tout en sévissant contre les perturbateurs[1], maintenait résolument son opposition aux mesures qui avaient provoqué l’agitation, M. de Chaulnes comprit que mieux valait encore pour sa fortune politique une grande humiliation personnelle qu’un conflit duquel l’autorité royale courrait risque de sortir vaincue. Il se résigna donc, la

  1. Un arrêt du 10 juin 1675 interdisait sous peine de mort tout attroupement, ordonnait des poursuites contre tous les perturbateurs du repos public et spécialement contre les malveillans qui répandaient de faux bruits, tels que celui du prochain établissement de la gabelle en Bretagne. — Registres secrets du parlement, année 1675, t. II et III.