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de Rohan et la principauté de Léon, les paysans firent main basse sur tous les magasins de tabac et de papier timbré, et ne tardèrent pas à refuser l’acquittement de toutes les taxes. A Landerneau, des établissemens industriels considérables furent anéantis sur le seul soupçon d’appartenir à des traitans intéressés dans les fournitures du port de Brest ; mais les révoltés du Léon furent bientôt dépassés par ceux de la Cornouailles. M. de Langeron, plus connu sous le nom de marquis de Lacoste, lieutenant-général pour le roi dans les quatre évêchés de la Basse-Bretagne, se porta successivement à Carhaix et à Châteaulin, où les paysans parcouraient les campagnes. Les rustiques s’étaient armés des vieux mousquets de la ligue et brûlaient les châteaux abandonnés par les gentilshommes, contraints de se rendre, sur l’ordre du gouverneur, au point de concentration assigné dans chaque ressort au ban de la noblesse. A Châteaulin surtout, M. de Lacoste, qui avait réuni en toute hâte à cette troupe de gentilshommes les faibles contingens fournis par les garnisons du littoral, trouva devant lui une multitude exaspérée qui paraissait obéir à une impulsion donnée par le notaire d’une paroisse voisine. Une véritable bataille s’engagea aux abords et jusque dans les rues de cette petite ville. Le lieutenant-général de la Basse-Bretagne y fut blessé grièvement, et, si l’absence de documens interdit d’apprécier l’importance de ce conflit, il résille des faits connus que durant trois mois la Cornouailles demeura au pouvoir de l’insurrection[1]. Le marquis de Lacoste se fit transporter à Brest afin d’y trouver les soins exigés par ses blessures, et peut-être aussi pour y veiller lui-même à la sûreté de cette ville, bloquée et un moment menacée. L’éloignement forcé de ce personnage fut un vrai malheur pour cette contrée. Jouissant de l’estime générale que lui avaient assurée des qualités élevées et modestes, M. de Lacoste semblait appelé à exercer le rôle de médiateur entre les gentilshommes, obligés par honneur de marcher sous ses ordres, et les paysans, qui, furieux de se voir combattus par leurs chefs naturels, les pendaient sans miséricorde. Il aurait certainement préservé le pays des vengeances atroces dont l’arrivée du gouverneur fut le signal, et qui, si le détail en était mieux connu, fourniraient une des pages les plus sombres de notre histoire.

Tandis que ces choses se passaient en Basse-Bretagne, ni M. ni Mme de Chaulnes n’étaient à Rennes sur un lit de roses, car l’émeute y renaissait mille fois plus insolente qu’à ses débuts. Les nombreux gentilshommes qui jusqu’alors avaient entouré le gouverneur

  1. Voir aux tomes VI et VII de la Revue de Bretagne les important travaux de M. de La Borderie sur cette insurrection, dont il a été le premier et dont il est demeuré jusqu’ici le seul historien.