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cents gentilshommes accourus l’épée à la main pour écarter les incendiaires. Ce fut à la lueur des flammes que le marquis de Lavardin, parti de Nantes au premier bruit des événemens, entra dans Rennes et prit jusqu’au retour du duc de Chaulnes la direction des mesures défensives. Le gouverneur ne tarda pas à le joindre.

Après la clôture comme pendant la durée des états, M. le duc de Chaulnes avait fait près du contrôleur-général, pour obtenir ou le rapport ou la modification des édits, des efforts dont sa correspondance constate la persistance et l’inutilité. Sans croire que M. de Chaulnes ait jamais inspiré l’adoration que Saint-Simon attribue à la Bretagne pour son gouverneur, il y a tout lieu de penser que jusqu’à la crise de 1675 il n’y comptait pas d’ennemis. Il y avait déployé la sagacité d’un esprit mûri par les grandes affaires diplomatiques et cette magnificence tant célébrée par Saint-Simon et par Mme de Sévigné, magnificence que rendaient d’ailleurs facile les immenses profits de son gouvernement durant la guerre maritime[1]. Si l’ami de Mme de Sévigné fut plus tard considéré par toute la population bretonne comme un ennemi public, ce qu’ignora toujours Saint-Simon, qui prenait ses renseignemens à Versailles, ce changement s’explique par l’exaspération que provoquèrent chez M. de Chaulnes les insultes populaires, tristes conséquences de la répression dont il fut l’instrument. Les rigueurs impitoyables exercées par un homme naturellement modéré furent la suite de la funeste condition imposée aux agens de tous les pouvoirs absolus, accoutumés à mesurer le zèle de leurs serviteurs à la promptitude avec laquelle ceux-ci sont obéis.

Arrivé le 2 mai 1675 à Rennes, où il fixa depuis cette époque sa résidence, le gouverneur de la province fut accueilli avec empressement par toute la bourgeoisie, car, si celle-ci se montrait fort opposée aux édits, elle était aussi fort alarmée des conséquences d’une insurrection toute prête à renaître. Reçu le lendemain à l’hôtel de ville avec les honneurs d’usage, M. de Chaulnes se montra d’autant plus résolu à faire strictement exécuter les ordres du roi, qu’il avait à faire oublier aux ministres ses efforts récens pour en obtenir la modification. Rien n’était en effet plus dangereux pour un courtisan de profession que d’avoir eu raison contre un gouvernement qui ne doutait pas plus de sa sagesse que de son droit ; mais pendant que le gouverneur se préparait à rétablir les bureaux saccagés, les nouvelles les plus sinistres lui arrivaient de tous les points de la province.

  1. Dangeau, je ne sais trop sur quel fondement, porte à 900,000 livres la part du duc de Chaulnes dans la valeur des prises, telle qu’elle était déterminée par les droits de l’amirauté en Bretagne.