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conserver et qu’on recueille avec soin. Elles sont ensuite lavés deux fois à l’eau chaude et à l’eau froide, blanchies au chlorure de chaux, enfin divisées en fibrilles menues dans des moulins à meules cannelées que l’on nomme pulp-engine, et qui sont des machines fort ingénieuses dues à un Américain, M. Stuart. Quant à la lessive de soude caustique, il va sans dire qu’on ne la laisse pas perdre. Concentrée dans un four à réverbère et calcinée avec un excès d’air, ce qui a pour effet de brûler ou charbonner toutes les matières organiques qu’elle tient en suspension, elle est ensuite traitée par la chaux hydratée et ainsi revivifiée comme soude caustique, de manière que la même soude, sauf les déchets inévitables, peut servir indéfiniment. Cette fabrication est, comme on voit, très simple. Les pâtes à papier obtenues de cette façon ne coûtent guère que la moitié ou les deux tiers du prix des pâtes de chiffons. Il est vrai qu’il faut toujours y mélanger, pour faire de bon papier, une certaine quantité de ces dernières, dont les fibres, plus longues et plus résistantes, donnent au produit définitif plus de force. La cellulose membraniforme que l’on retire du bois peut entrer jusqu’en proportion de 80 pour 100 dans ces mélanges et donner de très beaux produits. Il n’est pas sans intérêt au point de vue théorique de suivre l’ordre des phénomènes qui ont permis à la science de retrouver et d’isoler souvent après une longue suite d’années une chose en apparence aussi délicate et aussi fugitive, en réalité aussi persistante que l’est le tissu organique avec lequel on fait les feuilles de papier. Au point de vue pratique, ces usines nouvelles qui emploient le bois comme matière première du papier ne résolvent pas seulement d’une manière ingénieuse, et qui deviendra par des progrès successifs tout à fait satisfaisante, un problème d’industrie appliquée fort important ; elles doivent avoir une influence heureuse sur l’arboriculture, et ouvrent un nouveau débouché aux exploitations de conifères qui doivent préparer l’assainissement et la mise en valeur de nos landes incultes. C’est ainsi que les branches de l’activité humaine qui paraissent au premier abord les plus indépendantes les unes des autres sont en réalité réunies par mille liens, et que tous les progrès sont solidaires. La papeterie a fait son profit de recherches qui n’avaient à l’origine que l’organographie végétale pour objet, l’agriculture à son tour profitera de découvertes où la papeterie semblait seule intéressée.


PAYEN.