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Europe des peaux fraîches. Un nouvel agent, l’acide phénique, donna la possibilité de les préserver de toute altération pendant la durée du voyage. L’acide phénique est le meilleur antiseptique connu. Il n’y a pas de ferment animé qui lui résiste, pas de putréfaction qu’il n’arrête. Restait la chair musculaire qu’on continuait à laisser perdre faute de moyens de conservation suffisans. Il ne fallait pas songer ici à l’emploi de l’acide phénique. Excellent quand il s’agit d’assainir des étables, quelques parties des habitations, des salles d’hôpitaux même, cet acide ne peut servir au traitement des substances alimentaires. On a beau l’épurer au point de l’obtenir en cristaux incolores, il conserve toujours une odeur analogue à celle du goudron de houille dont on l’extrait, et qui modifierait trop désagréablement la saveur des viandes qu’on le chargerait de garantir de la décomposition. A défaut de cet antiseptique moderne, on s’est adressé à un autre moins efficace et aussi ancien que la civilisation, le sel de cuisine ; mais on n’est arrivé encore à aucun résultat décisif. Les procédés de salaison doivent faire beaucoup de progrès pour donner une sécurité complète, et il ne paraît pas possible encore de conserver économiquement les viandes qui se perdent à Buenos-Ayres et à la Plata.

C’est dans une direction toute différente que M. Justus Liebig a dirigé ses recherches. Au lieu de se proposer d’exporter intégralement la chair des animaux tués, il a voulu concentrer sous un petit volume les principaux élémens nutritifs et sapides qui la constituent, réaliser un extrait de viande qui, parvenu en Europe et étendu de trente fois son poids d’eau, donnerait un liquide présentant les qualités essentielles du bouillon ordinaire. Ce nouveau produit commercial est déjà largement entré dans la consommation en Angleterre et en Allemagne. Il sert en outre dans ces contrées aux approvisionnemens de la marine et des places fortes. Le jury international a témoigné de l’intérêt qu’il portait à cette question et du cas qu’il faisait de la solution nouvelle présentée par M. Liebig en décernant une médaille d’or à la compagnie qui exploite son procédé dans l’Uruguay et la Plata. Il faut dire pourtant qu’en France, où l’on a la réputation d’être difficile, l’extractum carnis a soulevé quelques objections et n’a eu qu’un succès d’estime. Nous aurons l’occasion, en exposant les méthodes de l’industrie nouvelle, de formuler les critiques qui se sont produites, et d’indiquer par quels moyens il nous paraîtrait possible de satisfaire à de justes exigences.

L’animal étant abattu depuis peu, la chair est hachée menu et délayée dans une égale quantité d’eau, deux cents litres par exemple pour deux cents kilogrammes de viande. On fait bouillir ce