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une bien longue absence et dans le plus mauvais moment, ce Gérard ; mais, en somme, on avait soldé le plus gros l’année dernière, quand le marquis fut frappé de paralysie. Voilà sa succession ouverte depuis dix mois ; comte et la comtesse se sont fait envoyer en possession du château et des deux domaines ; ils payeront ce qui reste dû.

Les faits connus n’expliquaient ni la ruine totale de Mme de Montbriand, ni ce danger de mort dont elle se disait menacée. La pauvre femme s’était laissé induire en procès contre le testament très régulier de son père ; elle avait perdu en instance, en appel et en cassation. Le tribunal venait encore de donner gain de cause à la famille contre elle dans un règlement de compte. Ces procès avaient dû lui coûter cher, mais ils ne pouvaient pas avoir dévoré un million de dot et un demi-million de douaire ; la justice n’est pas encore si gourmande en ce benoît pays. Et quand terne la vicomtesse ne posséderait plus rien, n’y a-t-il pu un vieux proverbe qui dit : plaie d’argent n’est pas mortelle ?

Tout en cherchant la solution de son problème, Mainfroi ne pouvait se défendre de philosopher un peu sur le remue-ménage du monde. Que de choses avaient changé autour de lui en moins de sept années ! Il avait vu crouler la fortune des uns, l’honneur des autres, la force et la santé de plusieurs. M. de Vaulignon était mort et le gros Foucou en enfance ; le premier président, M. de Mondreville, s’affaiblissait à vue d’œil, quoiqu’il ne fût ni très-vieux ni usé par la vie. La belle Mme Portal, tout à fait détrônée, se cachait avec son mari dans quelque chalet de la Suisse ; on avait mené trop grand train, fait des dettes, joué à la Bourse, et enfin déménagé avec la caisse qui appartenait à l’État. Et Marguerite, la dédaigneuse, était réduite à mendier l’assistance de ce même avocat qu’elle avait si cavalièrement éconduit ! Mainfroi seul poursuivait sa marche ascendante ; il était plus éloquent, plus célèbre et plus honoré que jamais. Comme homme, il n’avait rien perdu : trente-deux dents bien blanches, la taille toujours élégante, les cheveux noirs et le teint frais, bon estomac d’ailleurs, et le cœur aussi jeune qu’à vingt-cinq ans. Pourquoi n’était-il pas marié ? Nul ne pouvait le dire, pas même lui. Les occasions s’étaient offertes, à coup sûr, et par douzaines. Grenoble serait une ville privilégiée entre toutes, si les mères de famille n’y tendaient pas de piéges aux célibataires riches et bien posés. Il répondit longtemps à toutes les ouvertures : « J’attends d’être, magistrat. » C’était se retrancher dans un cercle vicieux, car il disait en même temps à M. de Mondreville et à tous ceux qui le poussaient vers la magistrature : « Quand je serai marié. » Les logiciens inférèrent de là qu’il mourrait avocat et garçon, et cette idée s’accrédita si bien qu’on finit par le laisser en paix.