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de demander une fois quelle était cette dame majestueuse dont l’image se trouvait placée à côté de celle de la reine. Marie-Antoinette ne se ressemble vraiment à elle-même que lorsqu’elle est vue de profil, et c’est en effet dans la noblesse de cet allier profil autrichien si connu que consistait ce que la nature lui avait donné de beauté réellement durable et indépendante du charme que le printemps de la vie apporte avec lui. Ce caractère de la beauté de Marie-Antoinette nous explique une particularité qui n’a pas peu contribué à rendre la reine impopulaire et dont la nature était pourtant seule coupable, je veux parler d’une certaine dureté qui est marquée sur le visage de la reine. Ce profil est tellement fier qu’il imposa nécessairement la dureté au visage lorsque le temps eut détruit ce charme de la chair et cet éclat du teint que la nature lui avait donnés pour correctifs. Dans la première jeunesse, on ne dut pas remarquer combien ce profil était fier, ou, si on le remarqua, cela ne dut paraître qu’une grâce de plus ; mais, lorsqu’il fut seul chargé de donner sa beauté au visage, il ne put lui communiquer que ce qu’il avait, la hauteur et la dignité. Aider ou non, c’est dans ce trait que consista la beauté intrinsèque, essentielle et non fugitive de la reine ; aussi est-ce de profil qu’elle a été représentée par Louis XVI lui-même dans un ouvrage en fer que le roi, amateur, comme on sait, de travaux de serrurerie, composa de compagnie avec son compère Gamain, ce serrurier camarade d’un souverain qui joua plus tard un si triste rôle dans l’histoire de l’armoire de fer. Cet ouvrage, qui appartient aujourd’hui à M. Double, bien connu par ses collections d’objets des XVIIe et XVIIIe siècles, fait le plus grand honneur à l’habileté acquise par le roi Louis XVI ; mais il fait encore plus honneur à son cœur, car il trahit une réelle tendresse par le soin jaloux avec lequel l’attitude de la tête a été choisie, et le profil présenté de manière à montrer dans tout son avantage la beauté de la reine encore très jeune. Cet ouvrage, dû aux heures de loisir de Louis XVI, peut passer à notre avis pour un des meilleurs portraits de Marie-Antoinette.

Bien des curiosités étaient encore éparses dans les salles du Petit-Trianon et dans l’armoire vitrée où étaient renfermés les menus objets de la reine, bagues, reliquaires, dentelles ; mais en les examinant nous pensions qu’il manquait à cette collection les plus précieux de ces souvenirs, ceux dont la vue aurait inspiré les plus nobles pensées et fait ressentir les émotions les plus poétiques, les saintes guenilles que portait Marie-Antoinette au Temple, la pauvre robe ravaudée de ses mains de reine de France, le fichu de coton dont elle dépouilla son cou pour le livrer au bourreau.


EMILE MONTEGUT.