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est vraie pour toute une génération, elle l’est encore bien davantage pour chaque grand artiste pris isolément. Léonard de Vinci a peint toute sa vie le même visage, et qui ne connaît l’origine de ce type de beauté dont il n’a jamais voulu sortir ? Contrairement à l’opinion générale qui donne l’uniformité pour principal caractère à l’œuvre de Raphaël, nous la trouvons infiniment variée ; qui ne voit cependant que toute sa vie il a dessiné le même ovale, comme s’il eût désespéré de rencontrer une forme de visage supérieure à celle qui l’avait enchanté une première fois ? Eh bien ! en regardant ce dessin de Prudhon, nous n’avons pu nous empêcher de nous dire : Qui sait si ce n’est pas dans le visage de Joséphine qu’il faut chercher le secret de cette grâce qui fut la forme sous laquelle Prudhon conçut la beauté, de cette grâce qu’il a peinte toute sa vie sans se lasser ? On le croirait vraiment, si le peintre n’avait mis dans ses créations une certaine mollesse et une certaine langueur affaissée qui sont étrangères au visage nettement lumineux de Joséphine.

Puisque nous cherchons de préférence les objets en qui l’intérêt historique s’unit à un intérêt d’art, nous devons bien nous garder de passer sous silence un admirable souvenir de l’expédition d’Égypte, sept portraits de personnages musulmans au crayon noir qui se trouvaient relégués dans l’ombre d’une antichambre. Je consulte le catalogue imprimé pour savoir quel est l’auteur de ces dessins dignes de toute attention, et le catalogue me répond qu’il n’en sait pas plus long que moi à cet égard. Peut-être Denon, peut-être Isabey, me dit-il. L’auteur mériterait cependant qu’on fît quelques recherches pour le découvrir ; mais, quel qu’il fût, c’était un véritable artiste. Ce qu’il y a avant tout de remarquable dans ces portraits, c’est l’absence de toute préoccupation pittoresque. Nulle imagination, nulle poésie ; on voit bien que les pachas de lord Byron ne sont pas venus au monde. C’est l’Orient saisi dans toute la réalité de sa prose par un œil mâle et sain, et rendu avec fermeté par une main vigoureuse. L’artiste a dessiné la bête humaine qui posait sous ses yeux, rien de plus. Ils sont là sept personnages de tout grade, cheiks, pachas, ulémas, tous alourdis, ou avachis, ou dévastés par la sensualité : leurs visages sont hébétés, grimaçans ou éteints, et cependant on peut y remarquer cette gravité pesante propre à leur race, qualité mère du génie de domination qui la distingue, et cette finesse discrètement narquoise qui naît de la pratique quotidienne de la ruse et des habitudes de la diplomatie. Au premier abord, ce sont sept caricatures qui font penser aux Schahabahams des romans du dernier siècle ; mais un second coup d’œil découvre combien ces caricatures sont redoutables.

Dans l’appartement dit salle du conseil on remarquait un buste de Napoléon provenant de la vente du marquis d’Aligre et attribué à Canova. Les connaisseurs, paraît-il, sont tous à peu près d’accord pour refuser ce buste au célèbre sculpteur malgré l’opinion de Pradier, qui ne le