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marqués pour la grandeur et des souvenirs de ceux qu’elle à marqués pour le malheur et la chute. « Oh ! dit dans Shakspeare le prince Henri, lorsqu’il se penche sur le corps du vaillant Hotspur, si tu pouvais être sensible à ma courtoisie, je ne montrerais pas un tel empressement de piété ; mais maintenant je veux que mes couleurs cachent ta face mutilée, car je me sentirai vraiment reconnaissant envers moi-même pour avoir accompli en ton honneur ces rites de tendresse. »

Comme les Parisiens, ainsi qu’on l’a remarqué depuis longtemps avec assez de justesse, sont toujours les derniers à connaître les merveilles de la ville qu’ils habitent, nous craignons fort que la plupart de nos lettrés et de nos artistes n’aient laissé échapper l’occasion d’une bonne fortune expressément préparée pour eux, et dont une foule d’oisifs et d’étrangers auront profité avec la curiosité distraite ou l’indifférence muette d’âmes en qui de pareils souvenirs ne réveillent aucun intérêt poétique ou aucun sentiment de religion nationale. Et cependant il valait vraiment la peine de faire les deux petits pèlerinages de Rueil et de Versailles, car ce n’était pas le passé seul qui était représenté à cette double exposition, c’était aussi ce qu’il y a de plus éternel, ce qui possède toujours le privilège de l’actualité, de la vie présente, pour si reculé que soit le temps où ait apparu ce quelque chose, c’est-à-dire la beauté. Tout vieillit vite en ce monde, tout y devient vite suranné, tout, sauf l’expression de la beauté lorsqu’elle a été une fois fixée par une main de génie ou seulement par une main habile. Les meubles qui ont appartenu aux générations qui nous ont précédés, quelque somptueux qu’ils soient, ont un âge ; mais la beauté n’en a pas, et échappe à la déchéance de ne plus être aimée que par les seuls antiquaires, genre d’honorable infortune qui pour les beaux objets nous a toujours paru comparable à celle d’Abigaïl lorsqu’elle eut l’austère bonheur d’être distinguée par le roi David. Nous concevons parfaitement à la rigueur qu’on ne se dérange pas pour voir les vieilles chaussures de François Ier ou les chaises sur lesquelles a pu s’asseoir l’empereur Charles-Quint ; mais il faudrait plaindre celui qui, pour voir la Joconde de Léonard ou la Bella donna du Titien, ne serait pas capable de faire vingt lieues. Or l’attrait des deux expositions de la Malmaison et de Trianon, c’était précisément que, grâce aux génies féminins des deux localités, cette chose éternellement jeune la beauté, répandait un souffle de vie sur tous ces objets qui rentrent aujourd’hui dans la catégorie des documens historiques, et que le visiteur échappait ainsi à cette impression de mort et d’ossuaire qui manque rarement de vous saisir lorsque vous errez au milieu des choses du passé. Il faut nécessairement choisir dans cette masse d’objets qui formaient les musées passagers de la Malmaison et du Petit-Trianon, et c’est à ceux qui possèdent cet éternel intérêt de la beauté que nous donnerons la préférence.