personne ne l’ignore, est opposée par toute sa tradition politique à contracter des engagemens sur des éventualités. Elle ne peut donner caution à la durée perpétuelle d’un pouvoir temporel de la papauté, et nous doutons qu’elle exhorte avec beaucoup d’ardeur l’Italie à se résigner à ce sacrifice. Où l’on peut juger des mœurs politiques anglaises, c’est dans la demande de crédit présentée à la chambre des communes au sujet de l’expédition résolue contre le roi Théodore d’Abyssinie pour la délivrance des sujets et du consul anglais que ce sauvage despote retient prisonniers depuis plusieurs années. Certes l’Angleterre a montré beaucoup de patience dans cette affaire ; on a essayé tous les moyens amiables pour vaincre l’obstination du roi Théodore ; on est allé jusqu’à décider la reine Victoria à écrire elle-même à l’autocrate nègre et à le flatter de complimens polis. Le cruel chef de l’Ethiopie ne descend point évidemment de la reine de Saba, et a toujours refusé de rendre ses captifs. On va les lui prendre avec une armée organisée à Bombay et placée sous les ordres d’un des meilleurs officiers de l’armée de l’Inde, sir Robert Napier. L’opinion anglaise demandait notoirement le recours à la force pour mettre le roi Théodore à la raison ; mais l’expédition coûtera gros : 2 millions de livres sterling sur le budget de l’année. Il faut voir avec quelles précautions oratoires les ministres ont abordé la chambre des communes. On a d’abord réuni toutes les pièces dans un blue book gigantesque avec une profusion de détails qui a paru surabondante même à des adversaires de l’expédition. M. Disraeli a jugé convenable de payer les frais de l’entreprise abyssinienne avec les ressources du budget, accrues par une légère augmentation de l’income-tax. Il n’y aura pas de solde laissé en découvert et restant, comme cela arriverait probablement chez nous, l’embryon d’un emprunt futur. Lord Stanley s’est appliqué à l’étude de l’entreprise projetée avec toute son attention laborieuse et toute la rectitude de sa raison. Voilà une aventure mêlée de romanesque ; après avoir pénétré les secrets de l’Afrique par les travaux de ses intrépides et infatigables voyageurs, l’Angleterre fait pénétrer ses forces militaires dans l’Orient africain. Se retirera-t-elle de ces régions qui avoisinent les sources du Nil après les avoir parcourues les armes à la main. Le destin en décidera. L’opinion des officiers anglais de l’Inde est qu’il était nécessaire, sous peine de compromettre le prestige britannique en Orient, de ne point laisser impunis les insolences et les outrages de Théodore ; mais, si l’Angleterre a besoin d’être influente à Ankober pour conserver la suprématie dans l’Inde, quand reviendra-t-on d’Abyssinie ? Lord Stanley a cependant déclaré que les troupes anglaises se retireraient avant toute hostilité, si, averti du péril qui le menace, le roi Théodore rendait sur la sommation de sir Robert Napier la liberté à ses prisonniers. Nous croyons lord Stanley parfaitement sincère quand il souhaite qu’un bon mouvement de Théodore
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