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et ce qui le prouve, c’est l’attitude que le clergé catholique a prise à l’égard des fenians. Voilà pourtant où il reste le plus à faire : l’Angleterre n’aura rempli ses devoirs envers l’Irlande qu’autant que l’égalité des deux cultes y sera complète. Pour le moment, il ne s’agit ici que de la propriété et de la culture.

Quel était le vice capital de l’économie rurale irlandaise il y a vingt ans ? L’excès de la population rurale relativement au produit obtenu. D’après l’archevêque Whately, l’archevêque Murray et d’autres autorités, l’étendue de terre qui occupait deux personnes en Angleterre en occupait cinq en Irlande, et le produit agricole obtenu en Angleterre sur la même surface était quatre fois plus fort. Je crois ces chiffres exagérés ; j’ai trouvé moi-même, quand j’ai étudié ces questions, que l’Irlande occupait deux fois plus de bras pour obtenir moitié moins de produit : c’est déjà bien assez. Que fallait-il donc pour adoucir la misère des cultivateurs irlandais ? Diminuer la population rurale ou accroître le produit agricole, ou faire l’un et l’autre à la fois. L’organisation de la propriété et de la culture aurait été bouleversée de fond en comble qu’on n’aurait apporté aucun remède au mal, tant que l’équilibre entre la production et la population n’était pas rétabli. Lord Dufferin montre très bien que l’émigration a produit le seul remède qui pût être efficace à court délai. Le résultat s’est fait sentir sur le taux des salaires ; la moyenne des salaires ruraux était de 4 shillings par semaine, elle est aujourd’hui de 8 shillings, et ce n’est pas le seul avantage que la population rurale en ait retiré, les longs chômages ont disparu ; à un travail précaire, intermittent, a succédé une demande de bras régulière et permanente.

Le changement qui s’est accompli peut se mesurer par les chiffres suivans : en 1841, le nombre total des fermes était de 825,000, dont 445,000 au-dessous de 5 acres (2 hectares) ; en 1864, le nombre était de 602,000, dont 121,000 seulement au-dessous de 5 acres. Le nombre total s’est donc réduit de plus du quart, et celui des fermes au-dessous de 5 acres des trois quarts. Le nombre des fermes de 5 à 15 acres (de 2 à 6 hectares) a diminué aussi, mais d’un tiers seulement. En revanche, celui des fermes de 15 à 30 acres (de 6 hectares à 12) a presque doublé, et celui des fermes au-dessus de 30 acres (12 hectares) a plus que triplé. Il est clair qu’une ferme de 2 hectares et au-dessous ne suffit pas pour occuper et nourrir convenablement une famille ; quand la pomme de terre a manqué, la famine a fait périr des populations entières. Pour éviter le retour d’un semblable fléau, il fallait que l’existence du cultivateur fût mieux assurée ; elle l’est aujourd’hui, puisque l’étendue moyenne des fermes a doublé. L’expérience prouve que le minimum d’étendue nécessaire à l’entretien d’une famille est de 15 acres (6 hectares). À ce compte, le nombre des fermes pourrait diminuer encore sans inconvénient, car il en reste 300,000 au-dessous de 6 hectares.

On peut s’étonner que, dans le même moment où des plaintes si vives