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L’IRLANDE EN 1867

La tentative du fenianisme a rappelé l’attention sur l’état de l’Irlande. Depuis l’épouvantable famine de 1847, ce pays subissait une transformation continue, suffisante suivant les uns, insuffisante suivant les autres, mais qui ne donnait plus à l’Angleterre les mêmes embarras que par le passé. Le torrent d’émigration que, d’après ses traditions bibliques, le public anglais avait qualifié d’exode, suivait son cours ; de 8 millions d’âmes en1846, la population descendait graduellement à 5,500,000 en 1866. C’était là sans doute pour le royaume-uni une grande perte d’hommes ; l’Angleterre se consolait en songeant que la plupart des difficultés de l’Irlande s’en allaient avec eux. On aimait à croire que tout au moins le temps des insurrections irlandaises était passé. L’invasion feniane est venue interrompre tout à coup cette sécurité. On n’avait pas prévu qu’une partie de ces émigrés dont le départ semblait donner des gages à la paix publique reviendrait de l’exil les armes à la main. Au premier moment, tout le monde s’est mis d’accord pour assurer une répression vigoureuse ; le péril passé, on s’est demandé s’il ne serait pas possible d’éviter le retour de pareilles crises. De là une vive polémique dans les journaux et les livres ; les anciens griefs contre l’organisation économique et sociale de l’Irlande ont reparu, et une nouvelle croisade s’est organisée contre la propriété irlandaise, considérée comme la principale source du mal.

Un grand propriétaire irlandais, lord Dufferin, a voulu répondre à ces attaques. Il a commencé par écrire au journal le Times une série de lettres ; il a réuni ensuite ces lettres en un volume intitulé l’Émigration irlandaise et la tenure des terres en Irlande. Cet écrit remarquable fait parfaitement connaître l’état de la question ; les vingt ans écoulés depuis 1847 n’ont pas apporté en Irlande tous les changemens désirables ; mais il serait injuste de méconnaître une visible amélioration, et si de nouvelles mesures peuvent être utiles, il n’y a plus rien de fondamental à tenter, du moins en économie rurale, car les questions politiques et religieuses sont entièrement réservées dans le livre de lord Dufferin. Même au point de vue de la paix religieuse, les choses s’améliorent en Irlande,