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bloquant Gênes et Livourne, une armée française allant à Florence, ou à Turin ou à Milan, pendant que quarante mille Espagnols auraient débarqué à Naples : alors, ce n’est pas moi qui parle, c’est un ministre de l’empire, M. Thouvenel, qui l’a dit, les ombres de trente mille de nos soldats morts pour l’Italie se seraient levées devant nous pour nous demander compte d’un sang versé avec une cruelle imprévoyance. C’était pourtant l’enjeu d’une seconde expédition de Rome. Une autre conséquence, et celle-là a éclaté immédiatement, c’était de réveiller toutes les passions, tous les fanatismes, de faire rentrer la religion dans la politique, car enfin c’est de religion qu’il s’agit ; c’est entre catholiques et libéraux que la question se débat, c’est par des considérations religieuses qu’on se prononce, et par un déplacement naturel, quoique singulier, la France dans cette confusion s’est trouvée avoir pour alliés accidentels ceux qui n’ont cessé de combattre sa politique au-delà des Alpes depuis dix ans, tandis qu’elle a contre elle ceux dont elle se rapproche le plus par l’essence de ses idées et de ses principes. C’est tout cela que risquait la politique française par une intervention nouvelle à Rome, et si l’imprévu n’a pas joué un plus grand rôle, c’est que la crise a marché vite, plus vite qu’on ne le croyait.

Il est vrai, Garibaldi a été vaincu comme il devait l’être ; il est passé du champ de bataille de Mentana dans une prison, pour revenir bientôt dans son île, où il est aujourd’hui ; l’Italie est rentrée dans ses limites après une promenade militaire sur le territoire du pape ; la France elle-même en est à parler déjà du rapatriement de ses troupes, et dans tous les cas elle commence à se replier sur Civita-Vecchia. La cour de Rome a retrouvé le calme. Il reste à savoir ce qu’a produit cette rapide et étonnante échauffourée, ce qu’elle a résolu, ce qu’elle laisse après elle. Elle n’a rien résolu, elle a produit un immense ébranlement, elle laisse après elle l’incohérence et le doute. L’Italie, la France, la papauté, en se retrouvant en présence, peuvent se demander où elles en sont réellement.

L’Italie sans doute sort la plus meurtrie de cette crise violente. Elle ressemble un peu à ceux qui ont été battus et qui ne sentent les coups qu’ils ont reçus que le lendemain ou quelques jours plus tard. Vaincue sans combat, humiliée par la faute de ceux qui l’ont conduite, elle est pour le moment tout entière à l’irritation de l’orgueil blessé, à l’animosité contre la France, au mécontentement d’elle-même et au sentiment d’un malaise profond, parce qu’en effet son état est des plus graves. Son crédit en Europe d’abord ne peut être des plus brillans ; il subit le contre-coup de tout ce qui vient d’arriver et passe par une légère éclipse. De toute façon, l’Italie se trouve dans la condition d’une puissance qui n’a pas pu ou