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beaucoup de ses amis qui s’efforçaient de le retenir, de lui faire entendre raison, soit enfin par les nouvelles qu’il recevait de Rome et qui n’étaient pas de nature à l’encourager. Il s’est laissé emporter par la passion, par son idée fixe, persuadé qu’encore une fois l’Italie marcherait à sa suite, que sa présence sur le territoire pontifical serait le signal d’une révolution à Rome, et c’est alors que la question s’aggravait tout à coup. Assurément, avec le plus vulgaire bon sens, Garibaldi aurait vu qu’on ne va pas à Rome comme on va à Marsala, qu’il plaçait son pays dans l’alternative de l’abandonner cruellement ou de le suivre follement ; mais, s’il eût raisonné ainsi, Garibaldi n’aurait pas été Garibaldi, et après tout il faisait son métier. La question est de savoir si le gouvernement italien faisait le sien en laissant croître une agitation qui pouvait finir par le dominer lui-même.

À vrai dire, cette agitation garibaldienne a eu plusieurs périodes. La première, qui n’avait rien de grave encore, va jusqu’à la chute de M. Ricasoli, au mois d’avril ; la seconde commence à l’avènement de M. Rattazzi, et c’est une chose étrange, quoique pourtant réelle, M. Rattazzi ne porte pas bonheur à l’Italie. Quand il arrive au pouvoir, il faut s’attendre à de l’imprévu et quelquefois à un imprévu sinistre, si bien que de plaisans observateurs le font figurer parmi les trois ou quatre grands jettaiori qu’on dit exister aujourd’hui en Europe. C’est lui qui au commencement de sa carrière, il y a dix-huit ans, conduisait le Piémont à Novare ; c’est lui qui paraissait au lendemain du grand mécompte de Villafranca ; c’est lui qui a fait Aspromonte ; c’est lui encore qui s’est trouvé là juste à point pour attirer à l’Italie le déboire d’une seconde occupation étrangère à Rome. Ce n’est pas que dans ces dernières affaires il eût une pensée d’hostilité contre l’alliance française, il passait au contraire pour un partisan de cette alliance, et même en Europe, en Allemagne, sa rentrée au pouvoir était considérée comme le symptôme d’une intelligence plus intime entre l’Italie et la France. Ce n’est pas qu’il eût de mauvais desseins prémédités contre la convention du 15 septembre, il montrait au contraire la plus ferme résolution de la maintenir et de la faire respecter. Malheureusement avec M. Rattazzi tout va à peu près à rebours, et, à défaut du mauvais œil, cela tient à la nature de son esprit, à la position qu’il se fait toujours. Ce n’est point un homme d’état ; c’est un légiste exercé, un orateur flexible et subtil, un tacticien habile, connaissant son parlement, croyant avoir tout fait quand il a esquivé une situation difficile, ayant l’art de se faire un appui des passions et des intérêts les plus divers, en éveillant des espérances qu’il est réduit à tromper périodiquement. Sa politique n’est pas de la politique, elle