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qu’en jouant perpétuellement avec ces mots d’intervention et de non-intervention, en se réservant pour elle-même ce qu’elle refusait aux autres, elle faisait tout ce qu’il fallait pour favoriser l’Italie dans son développement national, il est vrai, mais aussi pour la froisser et l’irriter en lui faisant sentir le poids visible ou invisible d’une autre pression étrangère. Et l’Italie à son tour, l’Italie secourue, protégée et secrètement froissée, a vu dans la France moins une alliée naturelle, à laquelle tout la rattachait, qu’un auxiliaire puissant à ménager parce qu’elle en avait besoin, mais dont elle aspirait à secouer le joug. Elle a été partagée entre le sentiment d’une nécessité et l’impatience d’échapper à une tutelle aussi incommode que bienveillante. Il en est résulté ce je ne sais quoi d’ambigu et d’équivoque qui s’est glissé dans les relations des deux peuples, qui a mis entre eux au lieu d’une entente virile toute sorte de subterfuges et de sous-entendus, et qui devait inévitablement aboutir à quelque catastrophe ou tout au moins à quelque malencontreux coup fourré. Le dernier mot de cette situation et de cette politique, c’est ce qui vient d’arriver. Rome a été le point de rencontre où toutes ces causes, agissant à la fois, ont produit cette bruyante explosion que j’oserai appeler toute négative, comme les causes qui l’ont produite, qui n’a eu d’autre effet que de montrer un des plus grands problèmes du monde moderne livré à la tyrannie de l’imprévu, des passions aventureuses et des accidens secondaires, — la France et l’Italie se lançant un peu au hasard dans une crise où elles savent bien comment elles sont entrées, mais d’où elles ne savent plus comment elles peuvent sortir.

Assurément, en dehors de ces causes qui auraient pu ne pas exister, cette terrible question de Rome n’aurait pas moins été toujours vivante et périlleuse, parce qu’elle a sa racine au plus profond des choses, et de toute façon elle devait éclater un jour ou l’autre. Ce ne sont pas les derniers événemens qui l’ont créée, ils l’ont à peine modifiée. Elle a sa raison d’être dans l’existence même de l’Italie nouvelle, et les esprits absolus dont ces événemens ont ravivé les espérances l’ont bien compris aussitôt. Ils sont allés trop vite et trop loin dans leurs désirs, au fond ils ne s’y sont pas trompés ; ils ont bien vu qu’une seconde expédition de Rome ne suffisait pas, qu’elle ne serait rien, si elle ne conduisait pas à la dissolution de l’unité italienne, que là était le vrai et unique moyen de porter un secours efficace au pouvoir temporel. Avec une Italie fractionnée, divisée, qui eût été non plus l’Italie, mais un assemblage d’états italiens, une souveraineté politique du pape était encore possible, quoique toujours difficile, au milieu des irrésistibles transformations du monde moderne. Le jour où l’Italie, effaçant ses vaines