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matériel naval ne laissait rien à désirer, l’inscription maritime nous avait donné des équipages excellens, et nos ingénieurs venaient de remporter un véritable triomphe. Le Napoléon remontait le détroit des Dardanelles contre la mer et les courans avec deux vaisseaux à voiles à la remorque, au grand ébahissement des Anglais, qui ne voulaient pas croire à la possibilité d’un pareil tour de force, et dont la nouvelle flotte à vapeur ne possédait encore rien de plus parfait que le Sans-Pareil et l’Agamemnon. Malheureusement la marine française ne pouvait jouer qu’un rôle fort secondaire pendant la guerre de Crimée, et les circonstances ne lui ont pas permis de montrer toute sa valeur.

Depuis, la France est entrée la première dans la nouvelle période de transformations que traversent les marines militaires. L’Angleterre, qui sait si bien que son influence en Europe est irrévocablement attachée à sa grandeur maritime, a suivi notre exemple : elle a prodigué les millions et elle a créé une flotte cuirassée bien supérieure en nombre à la nôtre ; mais, de l’avis presque unanime de nos amiraux, nos nouveaux vaisseaux valent mieux que ceux des Anglais, malgré les rapports séduisans que ces derniers publient chaque jour sur les succès de leur flotte, comme sur la puissance de leur nouvelle artillerie, et en général sur toutes leurs entreprises nationales. Les expériences dont il est parlé dans leurs rapports officiels montrent que leurs navires manquent d’homogénéité et ne sont aucunement des bâtimens de conserve ; ils reconnaissent eux mêmes que leurs bâtimens sont peu manœuvrans, qu’ils évoluent mal. « L’Achilles, écrit l’amiral Yelverton, est de beaucoup supérieur à n’importe quelle autre de nos plus belles frégates ; mais, malgré toutes ses bonnes qualités, ce bâtiment si grand et si imposant est, à cause de sa grande longueur, très difficile à manœuvrer. Il est telles circonstances où dans un combat il pourrait être obligé de sortir de l’action pour tourner, et il se trouverait ainsi dans une position bien critique. » Comment en effet cet énorme bâtiment pourrait-il se tirer d’affaire, s’il avait à lutter contre deux béliers rapides et bien manœuvrans ? La supériorité de son artillerie ne lui serait pas à coup sûr d’un grand secours.

Cependant les idées que nous avons rapidement exposées, et qui semblent prédominer aujourd’hui dans la marine française, ne paraissent pas avoir cours en Angleterre. M. Reed, constructeur en chef de la marine britannique, publiait, il y a quelques mois, un rapport fort intéressant sur les navires cuirassés tels qu’il les comprend. « L’Angleterre, disait-il, pour assurer son rang de première puissance navale dans le monde, devrait toujours avoir sur ses chantiers au moins un navire supérieur en qualités de toute sorte à