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ceux qu’il a livrés pendant la dernière guerre d’Amérique, c’était le poste de l’amiral Farragut ; à Lissa, l’amiral Tegetoff s’est tenu dans les haubans de sa frégate, à une hauteur assez élevée. Des plaques de tôle assez épaisses pour résister au tir de la mousqueterie seraient disposées dans les hunes autour du capitaine, comme les toiles qui cachaient autrefois nos gabiers pendant le combat. L’officier chargé de la manœuvre du gouvernail devrait être aussi placé en vue du but à atteindre, car des ordres, quelque clairs qu’ils puissent être, ne sont jamais aussi bien exécutés par une main aveugle que par celle qui est en même temps éclairée par l’intelligence des yeux. Cette nécessité forcera peut-être à conserver les blockhaus actuels de nos bâtimens cuirassés, en les réduisant aux dimensions strictement nécessaires. Une petite tour circulaire, tout juste assez large pour contenir la roue du gouvernail, pourrait suffire : on la placerait sur l’avant du fort central, au pied du mât où serait monté le commandant, et on lui donnerait la hauteur nécessaire pour que le timonier pût découvrir l’horizon, tout en n’ayant que la tête au-dessus du blindage.

Telles sont, pour le moment du moins, les tendances du mouvement de transformation que traversent les marines militaires ; tout est remis à l’étude, tout est à créer depuis que l’ancien matériel des flottes a perdu sa valeur. Chacun semble vouloir en profiter pour conquérir sur l’océan une influence à laquelle il n’avait pas encore osé prétendre. L’Italie a déjà réuni une flotte considérable de navires cuirassés ; il ne lui manque plus que le personnel d’officiers et de matelots qui en est le complément indispensable. La Prusse, qui possède depuis quelques mois à peine un seul port sur les rives de la Baltique, fait construire des vaisseaux sur tous les grands chantiers de l’industrie européenne ; ses récens succès en Allemagne lui font sans doute espérer qu’elle pourra bientôt reculer encore ses frontières maritimes et créer des arsenaux pour leur donner asile. La Suède et la Norvège ne veulent pas rester en arrière ; le Chili et le Pérou eux-mêmes se font construire des cuirassés en Europe.

On a trop souvent répété que la France n’avait pas le génie de la mer, et qu’elle ne pourrait jamais devenir une grande puissance maritime ; le caractère français, dit-on, s’accorde mal avec les privations sans nombre des longues traversées sur l’océan, avec des exils trop prolongés. Les hommes de nos campagnes, en effet, sont attachés avant tout au sol qui les a vus naître ; nos populations n’ont rien du caractère aventureux des Anglais et des Américains ; nous n’avons pas comme eux une marine marchande considérable, dû il nous soit facile de recruter le nombreux personnel de bons