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traverseront les lignes ennemies dans un sens pour les traverser peu après dans un autre. Au milieu de toutes ces manœuvres, l’artillerie restera subordonnée à l’éperon, et son rôle le plus important sera d’attaquer l’ennemi à sa flottaison, à son gouvernail, et quelquefois même dans sa machine, lorsque, ce qui arrivera souvent, les bâtimens s’élongeront bord à bord après un choc trop oblique pour que l’éperon ait pu produire son effet.

La conséquence la plus importante des idées générales que nous venons d’exposer, c’est qu’en toutes circonstances la force principale des navires de combat résidera désormais dans la puissance et les bonnes qualités de leurs machines et dans leurs propriétés manœuvrières. La position la plus critique où puisse se trouver un bâtiment sera en effet d’être exposé au choc de deux adversaires qui arriveront presque en même temps sur lui avec des directions perpendiculaires ; pour éviter le choc, il présentera son avant à celui des deux ennemis qu’il rencontrera le premier, et, dès qu’il l’aura dépassé, il évoluera pour échapper par une manœuvre semblable au choc du second ; il ne pourra y réussir que si cette évolution peut se faire avec une très grande rapidité, même au détriment d’une partie de sa vitesse du moment. C’est cette considération qui a conduit à donner deux hélices indépendantes aux garde-côtes construits en France pour jouer sur nos rades le rôle de béliers proprement dits. Les propriétés manœuvrières de ces bâtimens sont telles, qu’un officier des plus entreprenans, mais aussi des plus expérimentés et des plus instruits de notre marine, disait un jour qu’il se ferait fort, avec le Taureau, d’accepter un duel contre le Solferino. Ce serait presque la lutte du lion et du moucheron.

Il ne faut pas conclure de la que nos garde-côtes, genre Taureau, soient le type qu’il convient d’adopter pour nos navires de combat ; comme les monitors américains, dont ils ne diffèrent essentiellement que par la grande carapace en tôle qui les couvre, et qui fournit à leurs équipages un logement très salubre, ces garde-côtes n’ont été construits que pour opérer sur nos rades ou du moins sur des eaux, relativement tranquilles ; l’expérience a prouvé qu’ils ne sont nullement des bâtimens de mer. Ne serait-il pas utile toutefois de remplacer dans notre flotte nos immenses frégates cuirassées.par des bâtimens plus petits, munis de deux hélices indépendantes et pourvus de facultés giratoires hors ligne ? On constituerait ainsi facilement une force offensive puissante et maniable. Lorsqu’un bâtiment de masse aussi considérable que le Solferino abordera par son travers un navire de plus faible échantillon, comme le Taureau ou la corvette cuirassée la Thétis par exemple, non-seulement il sera certain de le couler, mais il est même à croire