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les anciens impôts, Colbert avait imaginé une théorie en vertu de laquelle le roi pouvait de sa pleine autorité édicter pour la généralité du royaume des taxes sur des objets nouveaux, lorsque ces taxes seraient déterminées par la considération du bien public dont le prince demeurait l’appréciateur suprême. Telle était la doctrine que ce ministre entendait faire prévaloir en Bretagne, en Languedoc, en Provence, en Bourgogne, en Artois, partout enfin où il existait encore des assemblées provinciales[1]. C’était au fond substituer partout la monarchie absolue à la monarchie contrôlée, révolution qu’entendait consommer Louis XIV en vertu du droit royal dont il était le représentant convaincu. Lorsque MM. de Chaumes et de Lavardin annoncèrent aux états le retrait des édits, ils étaient probablement de bonne foi ; mais ils ne tardèrent point à comprendre qu’ils avaient donné à la concession royale une portée qu’elle n’avait en aucune façon. Calmer l’irritation des gentilshommes afin d’en obtenir beaucoup d’argent, telle avait été l’unique pensée du gouvernement, et ses concessions n’allaient pas au-delà de ce qui, dans les mesures alors débattues, touchait spécialement la noblesse. Ce fut pour celle-ci un vrai malheur. Cette situation particulière la rendit suspecte aux populations rurales, avec lesquelles elle avait toujours marché dans un parfait accord. Quoique très opposée aux mesures dont l’application allait soulever la province, l’aristocratie bretonne, par la situation que lui avait imposée le pouvoir royal, parut être à peu près désintéressée dans le grand conflit bientôt après provoqué par ces actes. De là le caractère démocratique du mouvement qui était à la veille d’éclater, caractère qu’exagérèrent à dessein dans leur correspondance tous les agens officiels, comme on va le voir dans la suite de ce récit, afin de faire retomber sur la noblesse la responsabilité qui pesait d’un poids si lourd sur le gouvernement lui-même.


L. DE CARNE.

  1. Les états de Normandie avaient cessé de s’assembler depuis 1666. A partir de l’ordonnance rendue par Louis XIII en 1628, ceux du Dauphiné purent Être également considérés comme anéantis.