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repousser les inventions fiscales et d’en défendre l’application dans la province, ne connaissent plus qu’une méthode pour y échapper : c’est d’offrir au roi de racheter ses édits en lui payant le prix qu’il retirerait de l’application de ses décrets. Ils agirent ainsi en 1667 et 1669 pour l’édit sur la poudre et sur les savons, précurseurs des innombrables nouveautés qui les émurent bientôt, sans réveiller une énergie fort difficile à recouvrer lorsque l’usage en est perdu.

Le même procédé de rachat fut appliqué en 1673 aux états de Vitré, à l’occasion de l’érection d’une chambre royale du domaine et de l’édit relatif à la réforme des justices seigneuriales. Ce fut avec des cris d’enthousiasme que l’assemblée accueillit l’annonce que sa majesté, dans sa bonté, avait daigné consentir à recevoir directement par un vote des états une somme égale à celle qu’elle s’était montrée résolue à prendre sans leur avis. Placés en face d’exigences impitoyables et sous la main d’un pouvoir ne s’inquiétant plus ni des droits particuliers de la Bretagne ni de la misère des populations, les états n’aspirèrent désormais qu’à l’honneur de se saigner eux-mêmes soit par des subventions spéciales votées pour le retrait de certains édits déterminés, soit en élevant le don gratuit, soit en multipliant ces gratifications dont la surabondance inquiétait fort Mme de Sévigné, se demandant si les Bretons pourraient boire assez pour les payer. Nous touchons à l’époque dont la marquise est demeurée jusqu’ici l’unique historien. Ses rapports journaliers avec les membres d’une assemblée où la famille de Sévigné comptait habituellement des représentans dans les deux premiers ordres, l’intimité de ses relations avec M. et Mme de Chaulnes, donnent aux récits de la châtelaine des Rochers une autorité irrécusable, et cette autorité devient plus sérieuse encore lorsque de terribles calamités parviennent à éteindre sous les larmes de la femme attristée les fusées de son bel esprit.

Le duc de Mazarin avait remplacé en 1663 M. de La Meilleraye peu après son mariage avec Hortense Mancini, qui commença en Bretagne l’aventureuse carrière à laquelle semblaient prédestinées les nièces du cardinal. Au duc de Mazarin avait succédé le duc de Chaulnes, d’abord avec le titre de lieutenant-général, et bientôt après comme gouverneur de Bretagne à la mort d’Anne d’Autriche, qui laissa dans cette province des regrets attestés par tous les témoignages contemporains[1]. Tout le monde connaît le duc de

  1. Parmi les plus curieux monumens de l’éloquence politique de cette époque, il faut placer l’oraison funèbre de la reine gouvernante de Bretagne, prononcée le 20 janvier 1666 dans la cathédrale de Nantes par l’abbé Blanchard, prieur d’Indre. « Plaise à Dieu, s’écrie l’orateur, que toutes les grâces de la cour pour la Bretagne ne se soient pas retirées dans le ciel avec notre princesse, dont les vertus semblaient croître comme le soleil en approchant de son couchant !… Nos batailles gagnées, nos villes conquises étaient dues aux prières et aux dévotions de la reine plutôt qu’aux batteries de nos canons…. Si les vœux et les soupirs du patriarche ont attiré le Messie, la naissance du roi et de Monsieur sont des fruits précieux que les oraisons de leur vertueuse mère ont produits à la France. La grâce qui les animait a tiré la nature de sa stérilité. »