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Le souvenir des hauteurs de Mme de La Meilleraye est demeuré vivant dans la province où cette exilée du Palais-Royal daignait se montrer en passant. Elle avait dressé, dit-on, Mlles de Cossé, ses sœurs, à recevoir avec un flegme impérial les hommages de la société bretonne sous un dais où ces dames se montraient vêtues en princesses romaines. Quelquefois elles déposaient le peplum pour se costumer d’une façon grotesque et impossible, comme on dirait aujourd’hui. Pendant quelque temps, leurs modes furent copiées avec une fidélité scrupuleuse qui provoquait des rires fous aux dépens des naïves provinciales ; mais bientôt le vide se fit dans les salons de la maréchale, et M. de La Meilleraye put à peine y retenir par ordre les officiers de service, qui n’y paraissaient qu’avec le hausse-col et prenaient tous parti pour le fretin.

Si le grand-maître de l’artillerie, souvent retenu à Paris par ses fonctions militaires, avait constamment résidé en Bretagne, il aurait probablement ménagé aux agitateurs des chances qui leur manquèrent dans cette fidèle province, car on touchait au temps où des plus petites causes allaient sortir de très grands effets. Ruinée par une grêle d’édits bursaux, achevée par la suspension des rentes de l’hôtel de ville, la population parisienne avait fourni au parlement une garde nationale qui à sa force militaire joignait une puissante autorité morale. Cette armée avait trouvé des chefs dans la triste aristocratie qui, même après Richelieu, continuait de voir dans la guerre civile une très profitable spéculation. La bourgeoisie embrassait de son côté des perspectives lointaines très confuses encore, mais déjà séduisantes. Ces deux forces naturellement ennemies se trouvaient maintenues dans une opposition commune par un corps qui déploya dans un degré égal l’ambition et l’impuissance d’Un grand rôle. Élevée à l’ombre de la royauté, dont elle avait été l’instrument modeste, la magistrature française aspirait à des destinées nouvelles. Elle entreprit de se les assurer en associant à ses traditions, qui lui commandaient une soumission respectueuse, des visées radicalement incompatibles avec un pareil rôle, marchant chaque jour de contradiction en contradiction, selon qu’elle évoquait ses souvenirs, ou qu’elle se laissait aller au prestige de ses espérances. Ne s’inquiétant plus des états-généraux depuis l’avortement de ceux de 1614 et travaillant à les faire oublier, les magistrats qui, avec l’agrément du roi, avaient acheté à deniers comptans le droit de débrouiller des procès, avaient fini par se prendre pour les représentans de la France, et la nation les laissait faire, aimant encore mieux se voir défendue par les parlemens que de ne l’être par personne. De là cette soudaine transformation des cours de justice en une sorte d’ordre politique qui, en 1648, tenta de se constituer par tout le royaume au moyen du fameux arrêt d’union