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souffrit le plus de cette différence entre les temps et les hommes. Les grandes compagnies fondées pour la colonisation du Canada, des Antilles et de Madagascar succombèrent l’une après l’autre, sitôt que la vigilance du pouvoir ne les protégea plus contre les chances périlleuses inséparables d’entreprises de cette nature. La vive impulsion imprimée à la marine ne tarda pas à s’arrêter, au détriment de la péninsule, dont le surintendant du commerce et de la navigation avait si rapidement doublé la richesse et décuplé l’importance. En regard des cinquante-quatre vaisseaux construits sous le ministère de Richelieu, celui de Mazarin n’en fait figurer que six. Les états de dépenses conservés aux archives de la marine constatent la torpeur dans laquelle resta jusqu’au ministère de Colbert le grand port de l’Océan, objet de toutes les complaisances de Richelieu, qui l’appelle souvent son Brest dans sa correspondance avec d’Escoubleau de Sourdis, cet archevêque aussi peu dépaysé à bord d’une escadre que le cardinal au conseil de l’amirauté. Durant les dernières années de l’administration de Mazarin, dit le savant historien de cette ville, on était arrivé à ne plus consommer en ce port pour travaux et achats de matières qu’une somme annuelle de 16,585 livres tournois[1] !

La suspension des arméniens contrista la noblesse bretonne, heureuse et fière de fournir la plupart de leurs officiers aux vaisseaux du roi. Elle ne vit pas non plus s’évanouir sans regret les perspectives ouvertes à ses nombreux cadets par la création des grandes compagnies coloniales, car Richelieu avait introduit dans leurs lettres d’érection une clause qui autorisait les gentilshommes à s’associer à ces sortes d’opérations sans déroger. Aussi un respect universel entourait-il dans cette province le nom du grand ministre qui avait su rendre la royauté française si forte sans toucher aux privilèges de la Bretagne, dont il avait été dix ans gouverneur. Appelé en 1632 à y représenter son oncle comme lieutenant-général et gouverneur de Nantes, le duc de La Meilleraye avait obtenu, après la mort du cardinal, des lettres de survivance en faveur de son jeune fils, qui fut depuis duc de Mazarin par son mariage avec Hortense Mancini. Deux ans plus tard, M. de La Meilleraye, élevé à la dignité de maréchal de France, avait l’honneur de suppléer dans le gouvernement de la Bretagne la reine régente elle-même. Cette princesse en effet ne crut pas au-dessous d’elle de déférer, en acceptant le titre demeuré vacant par la mort de Richelieu, au vœu exprimé par les états de 1643, et Mazarin estima prudent de ne livrer à aucun prince de la maison royale un pareil poste en présence des agitations qu’il pouvait déjà pressentir.

  1. Histoire de la ville el du port de Brest, par M. Levot, t. Ier, p. 121.