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d’embrasser est bien la cause de l’empire de Charlemagne ; c’est celle de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et celle de tout le continent… L’empereur laissera volontiers Rome sous la puissance du pape, parce que Rome ainsi isolée ne pourra plus nuire aux intérêts de l’empire. Tel est, monsieur le cardinal, l’alternative offerte à sa sainteté. Il ne sera pas tenu un autre langage à son négociateur. De vains partages ne feront jamais sortir de ce cercle : c’est au pape à choisir… Je n’entretiendrai que brièvement votre éminence des affaires ecclésiastiques. Il n’y en a point en France dont le pape ait à se mêler. L’église gallicane a ses privilèges et jouit de la paix la plus profonde. Ses membres bénissent l’empereur, qui honore la religion et protège ses ministres… Les affaires ecclésiastiques d’Italie ont trois objets : les moines d’abord ; l’empereur n’en veut point, il n’y en avait point du temps des apôtres, il n’y en a point en France, l’Italie n’en a pas besoin ; mais dans ce temps de crise il lui faut des soldats pour la défendre contre les infidèles et les hérétiques… Tels sont, monsieur le cardinal, les vœux de l’empereur, fondés sur l’intérêt des peuples et sur l’intérêt de la religion. Si le pape refuse de s’y rendre, si son négociateur n’est pas revêtu des pouvoirs nécessaires pour arriver au but indiqué, l’empereur pour les affaires temporelles en appellera à la suprématie de sa couronne ; il agira comme aurait agi Charlemagne, des droits duquel il est l’héritier, comme a agi Charles-Quint, qui était loin d’avoir les mêmes droits. Pour les affaires ecclésiastiques il en appellera à un concile général de la chrétienté, seul organe de l’église infaillible et arbitre souverain de toutes les contestations religieuses… Encore une fois, je dois le répéter, disait M. de Champagny en terminant sa note, il ne faut pas que le cardinal ait des pouvoirs limités, ou il doit rester à Rome[1]. »


Pour qui sait comprendre, le but de la note que l’empereur avait dictée à M. de Champagny saute de lui-même aux yeux. En présentant sous cette forme impérieuse ses prétentions plutôt grossies qu’atténuées, en exigeant en même temps que le saint-siège donnât des pleins pouvoirs illimités à un négociateur dont les opinions sur les questions en litige étaient connues et qui était sous son entière dépendance, l’empereur ne se proposait qu’une chose : il espérait qu’effrayé d’entamer une négociation sous de tels auspices et dans de telles conditions, le pape préférerait ne pas envoyer le cardinal de Bayanne à Paris, C’était de beaucoup ce qui convenait le mieux aux desseins de l’empereur. Il aurait alors constaté que, le pape ayant refusé d’entendre à aucun arrangement il avait été obligé de se faire justice lui-même en prenant possession de ses états. Pendant quelque temps, les choses parurent en effet tourner ainsi. Ce fut avec une satisfaction assez mal déguisée qu’à

  1. Note de M. de Champagny à M. le cardinal Caprara, Paris, 21 septembre.