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cédait à tous les mouvemens qu’on voulait lui imprimer. Cette manière de le juger n’est vraie que sur les objets d’administration et par rapport aux détails du gouvernement, pour lesquels le pape s’en remet à la volonté de ceux qui en sont chargés ; mais dans tout ce qui tient à l’autorité du chef de l’église il ne s’en rapporte qu’à lui seul… Le pape a un caractère doux, mais très irritable et susceptible de déployer une fermeté à toute épreuve. C’est un fait constant qu’il ne verra pas sans une satisfaction très vive que sa résistance produise des changemens politiques qu’il appellera persécution. Comme tous les ultramontains, il pense que les malheurs de l’église, suivant leur expression, doivent amener des temps plus prospères, et déjà ils disent ouvertement : Si l’empereur nous renverse, son successeur nous rétablira[1]. »

On le voit, les avertissemens ne manquaient point à l’empereur sur les dispositions qu’il rencontrerait chez Pie VII dans le cas où il lui plairait de recourir à des mesures de rigueur, Les avis de M. Alquier contrariaient ses prévisions, il n’y crut point. Tant d’autres avaient cédé, pourquoi le pape ne céderait-il pas ? Il avait exprimé une volonté, il fallait qu’elle fût obéie. Cette enclave de Rome compromettait l’unité de ses opérations militaires en Italie. Ou bien le pape consentirait à faire partie de l’alliance fédérative organisée de l’autre côté des Alpes, et s’engagerait comme prince temporel dans une ligue offensive et défensive contre tous les ennemis de l’empire, ou bien il perdrait ses états. De la part de tout homme sensé, le choix ne pouvait être douteux : si Pie VII hésitait, c’est qu’il se croyait, comme souverain pontife, à l’abri des menaces de la France ; mais on lui ferait bien voir qu’elles étaient sérieuses. L’irritation de l’empereur était en réalité extrême. « La cour de Rome est tout à fait devenue folle, écrivait-il le 22 juin au roi de Naples… Elle croit que je ne peux pas allier un grand respect pour l’autorité spirituelle du pape et réprimer ses prétentions temporelles. Elle oublie que saint Louis, dont la piété est connue, a.été presque toujours en guerre avec le pape, et que Charles-Quint, qui était un prince très chrétien, tint Rome assiégée pendant longtemps et s’en empara ainsi que de tout l’état romain[2]. »

Lorsque la colère de Napoléon était à ce point allumée contre une cour étrangère, il était rare qu’elle ne fît pas explosion. C’était volontiers son habitude de prendre alors à partie devant le public le ministre qui représentait cette puissance à Paris, et de lui faire une de ces scènes violentes, moitié involontaires et moitié

  1. Correspondance de M. Alquier, citée par M. Artaud, Vie de Pie VII, t. II, p. 158.
  2. Lettre au roi de Naples, 22 juin 1806. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XII, p. 481.