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ballottés par la vague des événemens et celle des passions entre les écueils du despotisme et ceux de l’anarchie, brisant ou endommageant tour à tour notre esquif sur les uns et sur les autres. Parmi ces épreuves incessamment renouvelées, nous achèverons de gagner la réputation, certes peu enviable, du peuple le plus difficile à gouverner de la terre, parce qu’ayant un appétit très prononcé pour la liberté, nous persisterons à méconnaître l’hygiène que cette liberté réclame, ou, la connaissant, nous nous montrerons incapables de la suivre, et nous ne nous ferons pas des destinées ascendantes.

Il est un point sur lequel je ne crois pas qu’aujourd’hui un homme de sens puisse se faire aucune illusion ; les peuples qui veulent conserver de l’influence et de l’autorité, ne pas déchoir enfin, ne pas être classés désormais parmi les états de second ou de troisième ordre, sont tenus d’adopter franchement le système représentatif, de le pratiquer d’une manière qui se rapproche du système anglais, c’est-à-dire qu’il leur faut avoir dans de fortes proportions le self-government. C’est la seule combinaison politique qui, en faisant un appel constant aux forces individuelles, puisse rapidement développer la puissance nationale, de sorte que la nation qui ne l’a pas devient par cela même inférieure à celles qui se le sont approprié.

Le gouvernement personnel est un expédient qui a son utilité à certains momens et temporairement, tout comme la dictature, dont il est le diminutif ; mais, comme système permanent de gouvernement, il n’est pas défendable, car l’histoire montre qu’il y a plus de mauvais princes que de bons, — phénomène qui s’explique non par la raison que les princes soient nativement pires que les autres hommes, mais par celle-ci, tirée de la nature humaine, qu’il y a très peu de cervelles en état de résister aux séductions d’un pouvoir peu contrôlé, aux entraînemens d’une initiative sans contrepoids suffisans.

Le despotisme est très divers de sa nature. C’est un protée habile à revêtir mille formes. Parmi celles-ci, il en est une qui, moins que quelques autres, a excité la réprobation des publicistes, et qui n’en est pas moins pernicieuse. Je veux parler du despotisme administratif, celui qui résulte de règlemens multipliés s’adressant aux actes courans de la vie civile, aux occupations journalières des citoyens, à l’exercice de leurs professions. Il met les hommes dans la dépendance incessante des fonctionnaires administratifs, qui finissent par se regarder comme investis d’une sorte de droit divin. Outre qu’il est ou peut être pour les administrés une cause permanente de vexations, il fausse les libertés auxquelles on réserve l’appellation de politiques. C’est une forme de la tyrannie qui fait de grands ravages. Après quelque temps, elle abâtardit complètement le génie des peuples.