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lui. Le différend, s’il éclatait entre la couronne et le corps législatif, se viderait par-devant les électeurs, au tribunal de l’opinion publique, par le moyen d’une dissolution de la chambre des députés ; mais alors le chef de l’état serait personnellement en scène, et c’est un inconvénient dont il est impossible de méconnaître la gravité. A cet égard, on peut faire l’observation que la tentative d’introduire en France le système qui dégage le souverain de toute responsabilité et rejette celle-ci sur les épaules des ministres n’a eu aucun succès pratique. De quoi a servi aux rois Charles X et Louis-Philippe d’avoir été irresponsables, aux termes de la constitution ? En ont-ils moins été détrônés ? Il est vrai ; mais si le public a une irrésistible propension à imputer au prince les actes du gouvernement et s’il lui en fait porter la peine, alors même que la loi l’a affranchi de la responsabilité, croit-on qu’on gagne quelque chose en adoptant la règle qu’en effet le prince seul est responsable ? Diminue-t-on le péril ou l’augmente-t-on ? On pourrait aussi se demander si les rois auxquels une révolution ravit la couronne avaient été bien attentifs à ce que leurs ministres fussent agréables au pays, et si, en choisissant ou en maintenant les dépositaires de leur pouvoir, ils avaient réellement été soigneux de consulter l’inclination de l’opinion publique, ou si au contraire ils ne l’avaient pas bravée.

En Angleterre, l’opinion publique est toute-puissante parce qu’elle est énergique et ferme autant que raisonnable et amie de la loi, qu’au besoin elle est compacte, et que par cet ensemble de motifs elle commande le respect et la crainte. En France, dans dix occasions, depuis 1789, elle a manqué de la force nécessaire pour se faire respecter. Il semble qu’elle soit atteinte de paralysie : désavantage immense, déplorable infériorité. À ce mal profond, il n’y a pas de remède, si ce n’est dans un progrès considérable de la raison publique et des mœurs politiques qui retrempe les caractères et leur rende une vigueur perdue par une longue habitude du régime du bon plaisir sous l’ancienne monarchie et par la violente pression de la dictature tour à tour révolutionnaire et militaire de 1791 à 1814. Cette amélioration si désirable, si nécessaire à l’affermissement des libertés publiques, est possible, elle est même probable, mais elle est lente de sa nature. Portons là tous notre concours et obtenons du gouvernement qu’il y prête le sien. Il y peut immensément. C’est le despotisme qui a brisé le ressort de l’opinion publique et abaissé le niveau des caractères. Un gouvernement dont le langage, les allures et les actes de chaque jour seraient frappés au coin de la liberté, contribuerait puissamment à réparer le mal. Jusqu’à ce que l’on soit parvenu à ranimer en France l’opinion publique et à lui restituer une force proportionnée aux besoins de la patrie, nous courons le risque d’être