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collègues : « Ce que nous devons penser, je ne le sais pas ; tout ce que je sais, c’est que tous nous devons penser la même chose. » Le cabinet est l’émanation de la chambre des communes, le plus souvent imposé par elle à la royauté. Il a toute la responsabilité du pouvoir, car la royauté est en droit et en fait affranchie du fardeau et de la responsabilité des actes accomplis en son propre nom. Comme le remarque M. Bagehot, le roi peut être un méchant homme, un idiot ou un fou, la machine constitutionnelle n’en marchera pas moins. Le cas ne s’est-il pas présenté sous George III, qui pendant de longues années a été interdit, et pendant plusieurs autres aurait dû l’être ? A côté du roi, chef immuable de l’état, il y a un autre chef qui est amovible, mais qui possède, tant qu’il est en office, l’autorité du maire du palais sous les anciens rois de France. Vis-à-vis de la royauté, tout en se proclamant son serviteur et en s’inclinant officiellement devant elle, il exerce sur elle une puissance qui touche quelquefois au despotisme : ainsi les titulaires des places de cour changent avec le cabinet quand le premier ministre le juge opportun ; le maître de la garde-robe, le grand-écuyer et les dames d’honneur de la reine l’ont appris à leurs dépens. On a cité ces jours-ci, dans la polémique courante, un trait fort significatif en effet pour montrer à quel point le premier ministre en exercice fait sentir sa volonté au roi d’Angleterre et lui règle sa conduite. Je veux parler de la notification que Canning fit adresser par l’ambassadeur d’Autriche à Londres au prince de Metternich, qui avait exprimé l’intention de faire en personne une démarche près de George IV afin de le retenir dans la sainte-alliance. Le prince fut averti que s’il venait à Londres, il ne verrait pas le roi d’Angleterre autrement qu’en présence du premier ministre. George IV n’eut même pas la pensée de résister à Canning qui disposait ainsi de lui. Le cabinet ou le premier ministre dépend en réalité de la chambre des communes et non du roi ; mais la chambre des communes dépend de lui à son tour dans une certaine mesure, puisqu’il peut la dissoudre et la renvoyer devant les électeurs. Il est vrai que, si ceux-ci se prononcent pour la chambre dissoute en en réélisant la majorité, le cabinet s’en va immédiatement. C’est, on le voit, une machine savante, agencée de manière à être solide et flexible tout à la fois. Le dernier mot appartient au corps électoral, représentant légal de l’opinion publique.

Cet ascendant de l’opinion publique n’est pas particulier à l’Angleterre : il est le propre des états qui jouissent réellement du régime constitutionnel. C’est leur sauvegarde ou leur péril, selon que l’opinion y est dans la bonne voie ou dans la mauvaise, ce qui revient à dire selon que les caractères y sont ou n’y sont pas honnêtes, selon que les lumières y sont répandues ou y manquent.