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tout au plus si on peut dire que c’en est l’ombre ; mais les Anglais n’ont même pas l’ombre.

En Angleterre, la chambre des pairs, qui, dans l’origine, réunissait de grands pouvoirs, qui nommait, par des détours qu’on prenait peu la peine de dissimuler, une partie de la chambre des communes, n’est plus aujourd’hui, dans la conduite générale des affaires, qu’un pouvoir secondaire. Elle a pourtant une grande influence, mais c’est sous l’agrément de l’opinion. Elle n’a pas cessé d’exercer dans les relations sociales une préséance qui est étrange aux yeux d’un Français : ainsi le fils aîné d’un lord sans illustration, jeune homme obscur lui-même, aura le pas sur un homme d’état des plus considérables et des plus éprouvés qui sera, en dehors de la pairie, un Robert Peel, un Cobden, un Gladstone ; mais cette satisfaction donnée à la vanité des lords ne doit être prise que pour une politesse, réminiscence des mœurs féodales du même genre que les formules d’humilité envers la royauté. On peut douter que la mode en aille bien loin encore. Il y a peu de mois, le premier ministre, lord Derby, alors que la chambre des pairs avait à se prononcer sur la dernière édition du bill de réforme adopté par la chambre des communes, et qu’il s’agissait d’une conférence entre deux commissions émanées chacune d’une des chambres, faisait remarquer qu’une réunion de ce genre était rendue plus que difficile par la règle qui prescrit que les commoners délégués s’y tiennent debout et découverts, tandis que les pairs sont assis et le chapeau sur la tête. La chambre des communes aujourd’hui ne se prêterait pas à tant de soumission.

L’esprit d’égalité a pu, chez les Anglais, supporter des habitudes de ce genre. Il ne tolérerait pas des ambitions plus positives. Je pourrais rappeler ici l’émotion que causa en 1862, pendant l’exposition universelle, la prétention élevée par un membre de la chambre des pairs, un duc. Le noble personnage entendait que sur le quai nouvellement autorisé par le parlement le long de la Tamise, au-dessous du palais du parlement et de Westminster, quai de cent pieds de large, il fût interdit aux voitures de passer au droit de son parc. Seuls, les piétons ou les cavaliers y auraient été admis. Le comité de la chambre des communes chargé d’examiner la question avait été circonvenu, et avait la faiblesse de conclure en faveur du duc. Le premier ministre, lord Palmerston, était visiblement dans le même sens ; mais, même avec de tels appuis et sous de tels auspices, une exigence aussi inconsidérée ne pouvait réussir. Quand on connut ce qui se tramait au parlement, ce fut de la part de la masse du public un cri de colère. La presse fut à peu près unanime. Le Times eut des articles foudroyans, le Punch des épigrammes acérées et de vives caricatures. La majorité de la chambre