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sa raison, chose en lui peu raisonnable ; elle a constamment perdu du terrain depuis le rétablissement de la paix en 1815. La royauté à les mêmes respects, les mêmes guirlandes, obtient les mêmes génuflexions ; elle n’en est pas moins éclipsée. Mais tandis que jusqu’à la réforme parlementaire de 1832 c’était, comme immédiatement après la révolution de 1688, au profit de l’aristocratie, présentement tous les pouvoirs sont primés par la chambre bourgeoise et populaire, chambre élective qui peut tout, jusqu’à ce que la volonté du chef du cabinet l’oblige à faire renouveler son mandat et son prestige par les électeurs, organes eux-mêmes de l’opinion publique. Celle-ci est une puissance dont le dépositaire est innomé, et dont on peut dire cependant que quiconque exerce de l’autorité par son caractère, ses lumières ou sa position, en possède une part, quels que soient sa naissance, sa fortune et son rang. L’opinion publique est donc le véritable souverain, en ce sens que par son action sur la chambre des communes elle indique les hommes auxquels le pouvoir doit être confié et les mesures qui doivent être prises.

Un des traits par lesquels la constitution anglaise se distingue des types qui se reproduisent le plus aujourd’hui dans les états organisés de toutes parts sur la base constitutionnelle, c’est l’existence d’une chambre héréditaire, dont le nom légal est chambre des pairs, mais qui est appelée le plus souvent chambre des seigneurs (lords). Cette reconnaissance du principe héréditaire semble une atteinte aux lois de l’égalité civile et politique ; mais par un concours d’arrangemens imaginés par la sagesse nationale aidée de l’expérience, grâce pareillement au patriotisme des membres de l’aristocratie, ce privilège attentatoire au droit commun a été interprété et mis en pratique de telle sorte que la blessure faite à l’égalité va peu au-delà de l’épiderme. L’institution, au lieu de tourner au monopole d’une caste, a ordinairement l’effet de protéger la nation tout entière contre des abus ou des écarts. Elle empêche l’ascendant des personnes dont l’unique ou le principal mérite serait de s’être enrichies, et en cela elle contribue à maintenir élevé le niveau intellectuel et moral de la nation ; tout au moins elle l’empêche de s’abaisser sous le faste et l’orgueil des parvenus de l’opulence. Par des dispositions qui lui sont propres, l’aristocratie anglaise se différencie des aristocraties qui ont existé sur le continent et dont la descendance s’y conserve avec une auréole bien affaiblie et toujours décroissante. De ces dispositions, la plus essentielle consiste en ce que l’aristocratie anglaise n’est point exclusive. Quoique en Angleterre on parle sans cesse de la noblesse (nobility), il n’y existe pourtant pas un corps de nobles ayant des droits particuliers et exempts de certains devoirs. Pour les devoirs et les droits, la