Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/546

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nombreuse est un des plus grands périls auxquels puisse être exposée la liberté des peuples. C’est en effet un instrument qui semble devoir inévitablement rendre vaines toutes les résistances, dans le cas où le chef de l’état entendrait gouverner au mépris de la constitution et des lois. Le principe n’est-il pas posé partout que les baïonnettes ne doivent pas être intelligentes, c’est-à-dire que dans l’armée l’obéissance doit être passive ? Il est de règle également que, pour assurer l’obéissance du soldat et maintenir la discipline dans l’armée, les militaires doivent être soumis à un code pénal particulier et fort sévère, à des formes particulières de procédure qui soient très expéditives, dans tous les cas possibles de désobéissance. Vouloir que le soldat soit parfaitement discipliné, docile à ses chefs, passible à cet effet de peines exceptionnellement sévères et que pourtant l’armée ne soit pas une menace pour les libertés publiques, semble un problème insoluble. Les Anglais pourtant l’ont résolu.

Une première précaution est de réduire au moindre nombre possible l’armée régulière, je parle de l’armée de terre. Encore a-t-on soin de la disséminer dans les colonies et les possessions en dehors de la Grande-Bretagne et même de l’Irlande, comme Gibraltar et Malte. Ensuite l’armée ne peut être employée à l’intérieur, même en cas de désordre flagrant, que sur la demande des autorités civiles, et celles-ci sont personnellement responsables de toute réquisition pareille. Bien plus, le soldat, même requis, est responsable de sa propre intervention, et peut être puni, s’il y a eu de son fait transgression de la loi. Il est soumis, après comme avant son enrôlement, à la loi civile, quoiqu’il doive obéissance à la loi militaire, et responsable, par-devant les tribunaux civils, de ses actes envers les citoyens. Tout soldat recevant un ordre illégal, comme serait celui de faire feu sur un attroupement sans avoir été attaqué lui-même, ou avant la lecture du riot-act (ce qui revient à dire avant les sommations), sait qu’en conséquence de cette responsabilité il serait pendu, s’il obéissait.

En désobéissant à son supérieur en pareil cas, il ne s’exposerait guère, parce qu’il y a appel des tribunaux militaires aux cours de justice du royaume, et celles-ci casseraient alors l’arrêt prononcé contre le soldat désobéissant. L’histoire d’Angleterre mentionne au contraire des cas où les militaires ont dû au moins subir une instruction criminelle pour un acte d’intervention illégale. En 1768, lors des troubles auxquels donna lieu le démagogue Wilkes, un citoyen anglais, nommé Allen, fut tué par la force armée. Le jury du coroner rendit un verdict d’accusation contre le soldat Donald Maclean et l’enseigne Murray. En 1852, pendant les élections qui avaient lieu en Irlande, un détachement de soldats servant d’escorte aux