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cœur et d’intelligence convaincus que l’avenir appartenait à la liberté, et qu’on la ferait triompher par des efforts continus. L’Anglais a la foi et, par la foi, le courage d’attendre. C’est cette fermeté en faveur du droit, cette confiance robuste en son succès définitif qui est l’origine et la cause efficiente de la conservation et du progrès de la liberté anglaise et, par la liberté, de la grande fortune politique de la nation. Que faut-il conclure de là ? Devons-nous désespérer de parvenir jamais au niveau du développement des libertés publiques auquel l’Angleterre s’est élevée, et nous résigner à un régime de despotisme éclairé qui serait tempéré par les chansons et par d’autres lénitifs du même genre ? Non, une telle résignation serait l’abaissement ; ce serait la civilisation française donnant sa démission. Si nous le voulons bien, il n’y a pas de raison pour que nous n’arrivions pas, un peu plus tôt, un peu plus tard. Le tout est de ne pas se décourager. La force agressive, celle qui milite en faveur des abus et du despotisme, est de la même nature que le public lui-même sur lequel les abus et le despotisme doivent peser. Elle n’a ni plus ni moins de fibre ou de nerf, car elle est incarnée dans des hommes de la même race, qui ne sont pas supérieurs à leurs concitoyens. Les promoteurs ou défenseurs des abus et les suppôts du despotisme ont dans les veines le même sang que nous. Ils ont les faiblesses au moins autant que les qualités du caractère national ; donc entre eux et nous la partie est égale. Pour devenir libres autant que les Anglais le sont, les Européens du continent n’ont qu’à le vouloir. Ici vouloir, c’est pouvoir ; mais la volonté ne compte que si elle est continue, infatigable, et si elle est nationale, c’est-à-dire si, au lieu de subsister seulement chez quelques hommes d’élite, elle fait vibrer la fibre intime de la nation.

La constitution anglaise n’a tant vécu, elle n’est tant estimée et respectée, elle n’a fait tant de bien que parce que, sous des apparences immuables, elle est au contraire d’autant plus perfectible qu’elle repose moins sur des textes écrits. Elle est d’une remarquable élasticité qui lui permet d’admettre les forces nouvelles, de se régler sur la mobilité humaine : je parle non de cette mobilité, effet du caprice, ondoyante et bigarrée comme lui, qui change comme le nuage sous le souffle du vent, mais de cette mobilité sérieuse, empreinte de majesté parce qu’elle s’impose à elle-même des allures réfléchies, qui est régulière dans l’ensemble et mérite la dénomination imposante de progrès. Celle-ci, au lieu de faire un chaos des idées et des sentimens, les coordonne toujours en les épurant sans cesse, améliore et rend plus équitables les rapports des hommes entre eux. Je viens de dire que la constitution anglaise n’est pas un texte écrit. On peut montrer par un exemple à quel point les Anglais se passent de contrats sur le papier, et