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haute opinion de la constitution britannique ; mais voici comme entre les deux livres la diversité est très prononcée.

M. Fischel a procédé suivant cette méthode patiente qui fait partie du génie allemand, et moyennant laquelle un auteur creuse son sujet jusqu’au fond en prenant une à une chaque partie l’une après l’autre, comme le mineur qui suit chacun des rameaux du filon. Il en a ainsi fait une étude analytique fort intéressante pour les lecteurs étrangers, auxquels il s’est adressé, tandis que M. Bagehot, écrivant pour ses compatriotes afin de leur signaler ce qu’il considère comme devant être désormais le caractère dominant de leur gouvernement, a pu négliger les détails que son public avait sous les yeux et connaissait bien. Ce dernier se renferme presque toujours dans les faits généraux et les questions de principe. L’exposé de M. Fischel provoque chez le lecteur cette réflexion consolante après tout et encourageante pour les autres peuples, que les avantages politiques dont jouissent les Anglais aujourd’hui par une exception unique en Europe ne leur sont pas tout d’un coup tombés du ciel ; ils les ont au contraire payés chèrement et ne les ont acquis que par degrés. Ce jeu admirable de leurs institutions, qui leur assure une dose de libertés publiques bien supérieure à la nôtre et à celle de tous les Européens, c’est le fruit de longues épreuves et d’une lutte persévérante, la palme d’une victoire qui fut bien laborieuse. La liberté de la presse, le droit de réunion, la position singulièrement indépendante des tribunaux, l’absence de toute juridiction exceptionnelle, la règle d’après laquelle les accusés, assurés d’être toujours jugés par leurs pairs, c’est-à-dire avec l’intervention tutélaire du jury, non-seulement se défendent librement, mais sont traités par le juge sur son siège avec des égards qui vont jusqu’au respect, le scrupule avec lequel l’état ou les administrations locales s’abstiennent de faire une dépense quelconque qui n’aurait pas été au préalable votée par les représentans élus du contribuable, les droits individuels à l’abri de toute atteinte comme s’ils étaient dans une inexpugnable forteresse dont l’habeas corpus est la citadelle, tout cela leur a été contesté naguère avec une âpreté qui n’a été surpassée nulle part. Ils ont connu toutes les formes de la tyrannie, tous les déréglemens du gouvernement personnel. Ils ont eu le despotisme des Tudors et celui des Stuarts. Après la révolution de 1688, il leur était resté bien des abus à détruire : ils n’en ont pas fini encore.

Le parlement a eu à s’affranchir d’une corruption effrontée. Même à une petite distance de notre temps, il a eu lieu de repousser quelques tentatives du gouvernement personnel. Il a eu à secouer beaucoup d’usages onéreux à la masse de la nation, dans l’administration de la justice par exemple, et même à cet égard la tâche