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proclamer une constitution pareille pour obtenir ailleurs des résultats semblables. C’est peu pour le progrès des nations que d’avoir sur le papier une constitution libérale et habilement pondérée. Les républiques hispano-américaines ont copié la constitution des États-Unis ; toutes à peu près ont échoué, pendant que l’Union américaine avait un si éclatant succès. En France, la branche aînée des Bourbons se donna, dans ses bons jours, le programme d’imiter précisément la constitution anglaise, d’avoir une aristocratie héréditaire peuplant la chambre haute, une chambre des communes élective, un ministère responsable émanant des chambres et une royauté couverte du manteau de l’infaillibilité ou de l’irresponsabilité. L’issue de cette tentative fut malheureuse. Le roi irresponsable, qui ne pouvait mal faire, fut renversé du trône. La charte, au nom de laquelle la nation s’était soulevée quand elle avait vu qu’on la violait, fut mutilée. C’est qu’une constitution, pour faire la grandeur et la prospérité d’un peuple, doit être adaptée au caractère national et avoir ses racines dans les usages, les mœurs et les traditions. La constitution anglaise offre tous ces caractères profondément dessinés. Les lacunes qu’elle a présentées, les vices dont elle a été affectée à une certaine époque, étaient à l’image de la société même. Elle s’est perfectionnée dans ses dispositions organiques en suivant le progrès moral et intellectuel de la nation. Voilà pourquoi elle dure et réussit. La France ayant, dans la crise révolutionnaire de 1789 à l’an VIII, continuée par la crise guerrière de l’an VIII à 1814, secoué les traditions, les mœurs et les usages d’un régime ancien justement détesté, et n’ayant su s’en donner un nouvel assemblage parce que de telles choses ne s’improvisent pas, ses architectes politiques ont manqué d’une base sur laquelle ils pussent asseoir leur édifice. Nous avons ainsi été sur un sable mouvant.

Il y a eu aussi cette différence radicale entre l’Angleterre et la France que, depuis 1688, toutes les classes de la société anglaise et la royauté avec elles ont voulu le succès de la constitution. Le peuple, comme le prince, en acceptait les irrégularités et en supportait les abus au nom d’une sorte particulière de droit qui lui semble résulter de la coutume. En France au contraire, entre la nation et le gouvernement un accord de ce genre est loin d’avoir constamment subsisté depuis 1789. Surtout de 1814 à 1848, le défaut d’harmonie a été visible. Pendant cette période, la constitution était raisonnablement acceptable, et, si les deux parties s’y fussent prêtées, elle aurait fonctionné à l’avantage général ; mais tantôt c’était le souverain qui notoirement ne l’aimait pas et ne faisait que la subir en déguisant peu son déplaisir, tantôt c’était la nation qui, méfiante envers le souverain, voulait plus de garanties. Il n’y a pas de constitution qui se puisse maintenir, si les deux