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commentaires auxquels on ne peut au moins refuser le mérite de l’originalité. Elle a conquis un nombre d’illustres suffrages qu’aucune autre œuvre politique n’a pu réunir. Avant Montesquieu, elle avait eu celui de Voltaire, qui avait pu l’observer à l’aise, ayant passé à Londres deux années de la plus belle partie de sa vie. A chaque moment, on a lieu de l’étudier à un point de vue nouveau, parce que dans le mouvement même de la civilisation le point de vue auquel les hommes d’état et le public éclairé doivent se placer se modifie sans cesse de lui-même. De nos jours, elle se recommande par des résultats si considérables et si éclatans qu’il est tout naturel qu’elle excite l’envie des autres peuples.

Il y a deux siècles environ qu’après de fortes secousses la constitution anglaise revêtit une forme extérieure qui sembla définitive, mais qui ne pouvait l’être, car jamais une œuvre de ce genre n’est terminée. A partir de cette crise heureuse de 1688, elle a fonctionné d’une manière de plus en plus satisfaisante, non cependant sans offrir des imperfections et même des défauts essentiels dont le temps a effacé la majeure partie, 1688 est une date à jamais mémorable dans l’histoire. Les Anglais l’appellent notre glorieuse révolution, ils pourraient aussi bien dire féconde. Peu d’événemens ont au même degré projeté leur ombre tutélaire dans les profondeurs de l’avenir. Ce jour-là, le trône fut déféré à un prince éclairé, ami de la liberté, plein de résolution, mais circonspect autant que ferme dans l’accomplissement de ses desseins, qui accepta sans réserve les deux principes fondamentaux de la constitution anglaise, tels que les entendaient les chefs des whigs, ennemis résolus de son inepte et présomptueux beau-père, Jacques II, — le principe politique et le principe religieux. Par le premier, la nation dut désormais intervenir dans la gestion des affaires publiques, non-seulement à l’état consultant, mais comme un pouvoir doué de la plus grande initiative et participant au gouvernement plus que sur le pied d’égalité avec la couronne ; elle eut le self-government. Par le second, le protestantisme, sous une forme particulièrement dénommée, l’église anglicane, devenait la religion dominante, la religion même de l’état : disposition excessive assurément ; mais en même temps, et par cela même qu’on rompait avec la papauté, était le dogme du libre examen, que toute variété du protestantisme porte dans ses flancs, et qui devait ramener le plein ascendant de la liberté dans le domaine des affaires religieuses, et enfin provoquer l’égalité entre les cultes. L’influence du libre examen s’étend même bien au-delà. Quand il est pratiqué par un peuple honnête, intelligent, énergique, il exerce sur les esprits et les caractères, sur les mœurs et les opinions, sur les sciences et leur application à l’industrie, sur la manière de travailler et de jouir des fruits du