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arrangemens ministériels ont été pris pour aborder la période législative et la saison des discussions. M. de La Valette, quitte le ministère de l’intérieur et entre au conseil privé ; il est remplacé par M. Pinard. M. Routier abandonne son ministère intérimaire des finances et a pour successeur M. Magne. La signification de ces changemens n’est point difficile à pénétrer. Les dernières tendances de notre politique en Italie auront sans doute plu médiocrement à M. de La Valette. Comme ambassadeur à Rome et sous M. Thouvenel, ministre des affaires étrangères, il avait fait une campagne italienne bien différente de celle qui vient de s’engager. Il quitta cette ambassade en même temps que M. Thouvenel sortit du ministère, et lorsque fut épuisée la pression que le cabinet, suivant l’initiative d’une lettre impériale, avait exercée sur la cour de Rome, que l’on voulait rapprocher de l’Italie. Peut-être le gouvernement reconnait-il qu’en présence des discussions qui vont s’ouvrir le ministère de l’intérieur a besoin d’être représenté devant la chambre par un orateur expérimenté. Le choix du nouveau ministre répond bien à cette nécessité. Les connaisseurs se souviennent de l’éclat des débuts de M. Pinard au parquet de Paris. M. Pinard se fit remarquer tout de suite par l’élévation de ses pensées et l’éloquence de son langage. Il était bien jeune encore, mais on pressentait en lui un homme d’avenir. Il a fourni en peu d’années la carrière professionnelle la plus distinguée. On l’avait appelé au conseil, d’état l’an dernier, et on lui ouvre aujourd’hui l’arène de la politique et du pouvoir. Il est le représentant rare et on pourrait dire rarissime, comme parlent les bibliophiles, d’un homme jeune et nouveau porté au pouvoir par le mérite de ses services. Après M. Thouvenel, c’est à peu près le second exemple de ce genre fourni par le présent régime, qui s’est montré d’une stérilité si étonnante dans la production des hommes, et que s’il ne se hâte de se renouveler, laissera la France dans une effroyable disette de personnalités douées de la pratique des affaires et d’une autorité politique éprouvée et reconnue. A voir M. Pinard débuter dans la politique, les observateurs sympathiques de son talent eussent souhaité pour lui un meilleur milieu et des circonstances plus favorables à l’expansion et aux glorieux triomphes de l’éloquence. Comme ministre de l’intérieur, M. Pinard sera le défenseur naturel des projets de lois sur la presse et le droit de réunion. La parcimonie de ces projets gouvernementaux prépare une besogne mesquine aux orateurs officiels. Parmi les maîtres de son art, M. Pinard compte à coup sûr M. de Serres. Nous ne lui conseillons point de relire les belles harangues où, en parlant de la presse, M. de Serres nous a laissé un monument impérissable de l’honnêteté de son esprit et de la noblesse de son cœur. Ce souvenir serait décourageant quand on a à défendre un projet de loi qui eût paru draconien aux ultras de 1819.

M. Magne retourne aux finances. On peut voir avec satisfaction cet esprit lucide et correct replacé à la tête de notre administration finan-