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Chose étrange et bien instructive pour les gouvernemens qui se flattent de brider la volonté nationale ! Si cette grave révolution vient à s’accomplir prématurément, ce n’est pas aux radicaux qu’il faudra en adresser le principal reproche : c’est le président qui sera le vrai coupable ; c’est lui dont l’absurde résistance aura précipité les coups du congrès ; c’est lui dont la rébellion administrative aura prolongé l’empire des radicaux sur la masse des républicains fidèles et rendu possible une mesure qui répugne encore à tous les hommes prudens. Les démocrates le comprennent, et sont fatigués de l’avoir pour chef ; il n’a plus pour le soutenir dans l’élection qui se prépare que la faction composée des anciens rebelles et de ces hommes que les républicains ont désignés pendant la guerre du nom outrageant de copperheads. Cette faction, qui va diminuant de jour en jour, est irrévocablement perdue depuis longtemps ; elle n’a aucune espérance de nommer un président de son choix. Tout ce qu’elle peut faire, c’est de se venger par une plaisanterie inconvenante et d’essayer de couvrir les radicaux de ridicule en poussant elle-même à la présidence l’orateur noir Frédéric Douglass. Le retour même de faveur dont jouit en ce moment l’opinion démocratique sera plus nuisible que profitable aux hommes violens du parti.

Il ne faut pas se laisser abuser par les mots. Le parti conservateur qui se reforme aujourd’hui en face de la majorité radicale ne ressemble guère à l’ancien parti démocrate qui a combattu l’abolition de l’esclavage et protesté contre la guerre pendant tout le temps qu’elle a duré. Ce n’est pas sans faire de grands sacrifices et de larges concessions aux idées nouvelles qu’il a réussi cette année à s’attacher à l’arrière-garde républicaine et à la confondre un instant dans ses rangs. Le nom même à l’abri duquel il tâche de mettre ses espérances prouve que les nouveaux démocrates sont plus républicains que ne l’étaient, il y a cinq ans, les républicains eux-mêmes. C’est déjà pour ces derniers une victoire que de voir les démocrates et les sudistes se rallier au nom du général Grant. Ils n’exigent pas de lui, comme autrefois du général Mac-Clellan, des déclarations compromettantes pour sa popularité ou humiliantes pour son orgueil. Ils lui offrent la candidature sans conditions, sans engagemens d’aucune sorte, et tout ce qu’ils lui demandent, c’est qu’il consente à l’accepter de leurs mains. Eux-mêmes l’encouragent à persévérer dans sa neutralité prudente, à ne prendre fait et cause pour aucun parti. Ils sentent qu’ils sont perdus sans son alliance, et qu’il faut l’obtenir à tout prix.

Les républicains de leur côté ne veulent pas se le laisser prendre ; eux aussi veulent en faire le chef de leur parti. Pendant que les