Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/513

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écrivit à M. Stanton une lettre rendue publique, où il lui exprimait l’estime qu’il faisait de sa personne et le regret qu’il avait de le déposséder.

Un orage éclata dans le cabinet. Les collègues de M. Stanton, M. Seward surtout, prirent chaudement sa défense contre l’usurpation du président. Ils lui représentèrent qu’il y avait un bill du congrès qui lui interdisait formellement de destituer aucun fonctionnaire sans l’approbation du sénat. Le ministre disgracié protesta plus haut encore, et annonça qu’il soumettrait la question au congrès. M. Johnson argua subtilement de ce que le bill du congrès ne protégeait que les fonctionnaires nommés sous l’administration actuelle, tandis que M. Stanton datait de l’administration précédente. Cette mauvaise raison ne satisfit pas les ministres ; ils firent savoir au président qu’ils tenaient leurs démissions prêtes, et qu’ils l’autorisaient à s’en servir.

Le général Grant était entré au ministère pour y défendre la politique du congrès. La première ordonnance qui fut proposée à sa signature contenait la destitution des généraux. Il commença par s’en défendre ; mais le président insista si fort qu’il crut devoir y consentir pour conserver la paix. Sickles avait pris les devans en envoyant sa démission ; Sheridan continuait à régenter la Louisiane et à braver les menaces du cabinet. Tous deux furent remplacés, mais le président n’y gagna rien. Le général Grant stipula que Sheridan recevrait en revanche le commandement du Missouri, et que les nouveaux gouverneurs continueraient d’appliquer de la même manière le plan de reconstruction du congrès.

M. Johnson, déconcerté, tourna d’un autre côté ses batteries. Il publia une amnistie générale des rebelles, applicable à tous ceux qui prêteraient serment de fidélité à l’Union fédérale, à l’exception pourtant des président, vice-président, ministres, agens diplomatiques, généraux, capitaines de la marine du gouvernement confédéré, de ceux qui avaient maltraité les prisonniers fédéraux ou participé à l’assassinat du président Lincoln ; les amnistiés devaient recouvrer tous leurs privilèges, immunités, droits de propriété et autres, excepté ceux fondés sur l’esclavage. Il prétendait, par ce stratagème, obliger les commandans militaires à enregistrer comme électeurs les citoyens qu’ils avaient exclus. Ce décret fut accueilli par un éclat de rire universel. Il avait le tort de venir trop tard. Peut-être aurait-il pu donner, deux mois auparavant, des embarras sérieux au congrès ; mais le temps était passé de ces tracasseries vaines et de ces coups d’épée dans l’eau. Une clause expresse du dernier acte de reconstruction voté par le congrès édictait que le pardon du président ne relèverait personne des incapacités infligées dans l’acte. Comment M. Johnson avait-il eu la mémoire si courte ?