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depuis longtemps nécessaire et que des difficultés légales avaient seules pu retarder jusqu’à cette heure, je veux dire la libération sur parole de l’ex-président des états confédérés, lui avait été reproché par l’opinion populaire comme une concession coupable à ses amis du sud. Les rancunes personnelles sont profondes chez le peuple, et survivent même bien souvent aux rancunes politiques. Beaucoup de membres du parti démocrate, tout prêts d’ailleurs à faire cause commune avec les hommes du sud contre les républicains du nord, avaient vu d’un mauvais œil qu’on leur enlevât leur vengeance sur le malheureux prisonnier détenu à Fortress-Monroë. Ils oubliaient aisément que la rébellion était un crime et que la population du sud tout entière y avait participé ; mais ils n’oubliaient aucun de leurs griefs contre les chefs de la rébellion et particulièrement contre cet infortuné Davis, devenu le bouc émissaire de tous les crimes de la guerre civile, comme il en avait été l’acteur le plus acharné. Plus généreux et plus sages étaient ces deux radicaux, MM. Gerrit Smith et Horace Greeley, qui s’offrirent eux-mêmes à servir de caution au prisonnier ; mais ils donnaient un exemple que le pays ne pouvait comprendre. M. Greeley, malgré sa fidélité bien connue, encourut le blâme de l’union league de New-York, et faillit être traduit devant cet aréopage pour trahison à son parti. A plus forte raison devait-on faire de la mise en liberté de M. Davis un nouveau grief contre le président.

Lui-même faisait appel à d’autres passions tout aussi mauvaises. Depuis longtemps, une certaine agitation régnait dans les classes ouvrières sur l’éternelle question du salaire et du capital. Il s’était formé des associations pour faire élever le taux des salaires et diminuer en même temps la durée du travail. Quelques grèves avaient de temps en temps troublé l’industrie ; mais ces malaises passagers avaient toujours disparu dans l’ascension continuelle de la richesse publique et privée. Il n’en était plus de même depuis que la guerre civile avait ralenti l’essor de cette merveilleuse prospérité. Les désordres s’aggravaient tous les jours avec les souffrances des classes laborieuses. Il se formait des ligues, des conventions d’ouvriers, qui comme toujours s’en prenaient volontiers d’un mal inévitable à l’injustice des lois et à la tyrannie des capitalistes. On commençait à s’apercevoir que la jeune démocratie américaine, si dédaigneuse pour les vieilles sociétés de l’Europe, n’était pas non plus invulnérable à cette funeste et bien naturelle passion de l’envie qui a toujours armé les pauvres contre les riches quand les pauvres ont manqué de pain.

Il y avait à Baltimore une ligue ancienne et puissante qui poursuivait depuis longtemps la réduction de la journée de travail à huit heures au lieu de dix. Elle avait envoyé autrefois des