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et démentant par leur douceur les accusations qu’ils vomissaient contre elles. Un jour M. Kelley, un des radicaux les plus ardens de la chambre, haranguait dans les rues de Mobile un rassemblement d’hommes de couleur, et il le faisait en termes si injurieux pour les hommes du sud qu’il y eut deux ou trois fois des interruptions et des murmures. La police intervint pour les étouffer, noirs et blancs se provoquèrent, et le discours se termina par une échauffourée sanglante. Les habitans de Mobile protestèrent en foule ; ils tinrent plusieurs meetings pour exprimer leur indignation contre les émeutiers. Le maire et le conseil de ville invitèrent M. Kelley à venir répéter son discours, en lui assurant toute leur protection ; mais le fougueux propagandiste ne voulut rien entendre, il préférait quitter la ville en martyr de la liberté. « Je refuse, dit-il, d’aider Mobile à se laver du crime de l’hospitalité violée et de l’assassinat prémédité ; » Ce qu’il cherchait, comme tous ses pareils, ce n’étaient pas des esprits à convaincre et des cœurs à apaiser, c’étaient des argumens et des griefs à alléguer contre le sud pour justifier les sévérités du congrès.

L’attitude du président était, il faut l’avouer, plus raisonnable et plus digne. Il voulut à son tour faire une visite aux états du sud pour y asseoir sa popularité récente et calmer avec de sages conseils les passions enflammées par les radicaux. La ville de Raleigh, sa patrie, l’avait invité à venir inaugurer lui-même un monument qu’elle avait élevé à la mémoire de son père, ancien constable et bedeau de sa paroisse, obscur honnête homme qui était mort en faisant son devoir, et sans se douter des honneurs qu’on devait rendre un jour à sa vertu modeste. Il profita de cette occasion, comme il avait saisi naguère celle du monument de M. Douglas pour faire dans les états de l’ouest la mémorable tournée d’où datait sa ruine. Instruit d’ailleurs par cette cruelle expérience, on n’eût pas facilement reconnu le tribun de Cleveland ou de Saint-Louis dans cet orateur prudent dont la douceur faisait contraste avec l’emportement de ses ennemis. Il eut le rare talent de tenir un langage qui fut agréable à tous les partis. Les nouveaux gouverneurs trouvèrent certainement leur tâche plus facile dans les pays traversés par le président que dans ceux qu’avait échauffés la fulminante éloquence des missionnaires du parti radical.

L’installation du pouvoir militaire n’avait pas eu lieu sans de vives résistances et de fortes protestations légales. Les généraux trouvaient partout devant eux les gouvernemens d’état fondés par le président Johnson, et composés en majeure partie des anciens serviteurs de la rébellion. Il avait fallu les déplacer ou les réduire à accepter le joug nouveau. La question même du bill militaire avait été déférée à la cour suprême par une plainte collective contre