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la race elle-même qui l’entretient dans son cœur. Voyez l’Italie et la Pologne, l’Italie qui renaît après mille ans de servage et la Pologne que rien n’apaise et que rien ne lasse. Après vingt victoires, vous iriez dicter la paix à Kœnigsberg, vous occuperiez pendant dix ans l’Allemagne morcelée et saignée à blanc ; c’est dans ce dernier degré d’humiliation et de misère que, comme en 1811, le patriotisme se retremperait pour se redresser un jour contre le tout-puissant vainqueur. La faute du gouvernement français a été d’inquiéter le sentiment national allemand par des ingérences maladroites, des revendications intempestives de territoires et des visites impériales destinées, dit-on, à raffermir la paix, mais qui ont eu le tort de faire craindre la guerre. C’est ainsi qu’on accélère le mouvement unitaire, qu’on jette le sud dans les bras de la Prusse, malgré elle peut-être, et qu’on décourage l’opposition libérale, qui ne peut rien refuser au pouvoir sans s’entendre reprocher qu’elle trahit la patrie.

Un autre inconvénient de cette politique à la fois hésitante et sourdement agressive, c’est qu’elle rejette l’Allemagne vers la Russie, et qu’elle mine l’Autriche, à qui on veut du bien, en faisant naître les conditions qui favorisent les progrès du panslavisme. On a prétendu qu’à Salzbourg on avait exhibé la copie du traité secret conclu entre la Prusse et la Russie. C’est probablement une fable, car point n’est besoin ici d’un de ces traités que chacun interprète ou viole au gré de ses convenances. En notre siècle, ces chiffons de papier n’ont nulle importance. Les fortes alliances résultent non de combinaisons arbitraires tramées dans le mystère des cabinets par des ministres ou des princes, mais de l’identité des intérêts. Tant que la Prusse se sentira menacée du côté de l’ouest, elle se tournera vers l’est ; inquiétée par la France et par l’Autriche, elle demandera secours à la Russie et soutiendra l’agitation slave. Supposez au contraire la France libre tendant à l’Allemagne une main sympathique, la situation change à l’instant. Le mouvement libéral prend le pas sur le mouvement unitaire. La frontière n’étant plus en péril, les Allemands, au lieu de dire : L’unité d’abord, la liberté ensuite, diront : La liberté avant tout, l’unité plus tard. L’absolutisme militaire perdrait toute raison d’être du moment qu’au bout de chaque argument il ne pourrait plus faire luire une baïonnette ennemie. La première préoccupation de l’Allemagne serait alors d’arrêter les envahissemens du panslavisme. Les intérêts de la Prusse et de l’Autriche redeviendraient identiques, et elles s’entendraient sous les auspices de la France, car elles ont besoin l’une de l’autre. La situation changée, les alliances se modifieraient. Le panslavisme n’est pour la France qu’un cauchemar lointain, car ja-