Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/491

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait besoin de repos, qu’il fallait craindre les commotions politiques, et que la prudence ordonnait de renoncer provisoirement aux grandes réformes pour s’occuper des finances, du commerce, de l’industrie à demi ruinée, de l’agriculture écrasée sous les taxes, en un mot de tous ces intérêts matériels qu’on négligeait depuis trop longtemps.

La question financière préoccupait les esprits à juste titre, et elle n’était pas la moindre cause de la défaveur qui commençait à ébranler le crédit des radicaux. Jamais le pays ne s’était autant ressenti des sacrifices énormes qu’il avait faits pendant la guerre. Tant que la république avait été menacée, le patriotisme et l’ardeur même de la lutte avaient soutenu les courages. On espérait d’ailleurs qu’aussitôt l’Union rétablie l’ancienne prospérité renaîtrait comme par miracle, et qu’une végétation vigoureuse et nouvelle effacerait en peu de temps les ravages de la guerre civile ; mais quand au lendemain de la victoire on eut compté les désastres et mesuré l’étendue des sacrifices qui restaient à faire pour mener à bien l’œuvre inachevée, le malaise se glissa dans les esprits. Depuis ce temps, il n’a fait que grandir au milieu des embarras sans nombre qui ont aggravé les charges publiques. On pensait que le sud, une fois ouvert au travail libre et à l’activité des hommes du nord, fournirait des richesses nouvelles, et l’on ne trouvait devant soi qu’un territoire dévasté, des cités en cendres, une population affamée, turbulente, indocile, qu’il fallait gouverner manu militari comme une nation conquise, nourrir tout entière aux frais du trésor. On avait licencié cette armée formidable qui prenait deux millions de bras vigoureux et qui dévorait chaque jour deux millions de dollars ; mais il restait à protéger les anciens esclaves, à leur donner du travail et des vivres, à secourir leurs anciens maîtres, réduits à mendier sur les chemins ; il restait par-dessus tout à solder les emprunts immenses qu’on avait contractés pendant la guerre et à éteindre peu à peu toutes ces dettes fédérales, municipales, dettes d’états et autres, dont le total atteignait presque la somme effrayante de 20 milliards. Avant la guerre, toutes ces dettes réunies pouvaient être évaluées au dixième à peine de cette somme, et la part afférente à chaque habitant des États-Unis n’était encore que de 10 dollars : elle est de 100 dollars aujourd’hui. On ne pouvait guère se flatter ni d’une grande diminution des impôts, ni d’un prompt abaissement de la dette. Tout au moins fallait-il une économie rigoureuse, et le congrès, accoutumé aux prodigalités de la guerre, continuait à voter les millions par centaines, à multiplier les institutions coûteuses, à répandre à profusion les pensions, les primes aux vétérans ou aux soldats blessés, à payer sans compter les fournisseurs frauduleux qui avaient abusé de la pénurie du