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constitutionnel n’était pas encore ratifié. Neuf états l’avaient déjà repoussé, cinq autres lui étaient hostiles. On savait que le Texas, la Louisiane, l’Arkansas, le Delaware, le Maryland, allaient imiter l’exemple du Kentucky, des deux Carolines, de la Floride, de la Géorgie et de tous les autres états du sud. On ne conservait plus guère d’espoir de le faire réussir cette année. Tandis que les états du sud le repoussaient comme trop rigoureux, l’état de Massachusetts allait le rejeter comme trop faible, et M. Sumner avait déclaré dans le sénat qu’il ne se croyait pas tenu d’accorder à si bon marché son pardon aux états rebelles.

Cependant le peuple se fatiguait des disputes éternelles et de l’anarchie qu’il voyait régner au sein du gouvernement. L’opinion, naguère si favorable à la déposition du président, y était déjà devenue contraire. Par son sang-froid inaccoutumé, par son silence prudent sur les questions personnelles, Johnson éteignait peu à peu l’irritation provoquée l’année précédente par sa malencontreuse éloquence. Il avait contribué plus que personne au triomphe des radicaux par les injures qu’il leur avait dites. C’était maintenant leur tour de se compromettre par des violences de parole auxquelles ne répondait pas l’énergie de leurs actes. Ainsi, tandis que l’affaire de l’impeachment se traînait timidement au comité judiciaire de la chambre, au milieu des répugnances visibles de ceux même qui l’avaient proposée, le colonel Forney, secrétaire du sénat, s’en allait répétant partout avec ostentation que le comité avait été composé tout exprès pour cette besogne, et ce propos, colporté par la malveillance, faisait plus de mal aux républicains que ne leur en eût fait une condamnation prompte et hardie. Une autre fois M. Loan, du Missouri, ne craignait pas d’affirmer en pleine chambre que Johnson avait trempé dans l’assassinat du président Lincoln, et le congrès, qui ne croyait pas un mot de ces extravagances, mais dont elles flattaient la passion, lui maintenait la parole malgré les réclamations de tous les hommes sensés. Ces grossièretés de langage rapprochaient les démocrates et les républicains modérés par un sentiment d’indignation commune ; à ces derniers, dont l’opinion est assez bien représentée par le Times de New-York, venaient s’ajouter certains radicaux idéalistes, comme le prédicateur Henry Ward Beecher et le directeur du journal la Tribune Horace Greeley, qui depuis un an prêchaient l’oubli des injures et la fraternité des races. Ainsi les deux organes principaux du parti républicain s’unissaient à cette heure pour conseiller l’abandon de la procédure entamée contre le président, le premier tout en avouant qu’elle avait des motifs légitimes, le second tout en condamnant avec une juste sévérité la politique funeste de M. Johnson. Tous deux pensaient que le pays était épuisé, qu’il