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suprême. Elle n’est pas seulement le tribunal supérieur qui juge en dernier ressort les affaires civiles ; elle est aussi le tribunal politique où viennent aboutir ces différends de toute nature qui, dans un gouvernement fédératif, doivent s’élever fréquemment entre les états et l’autorité fédérale. Elle avait donc entre les mains plus d’un moyen facile de contrarier l’influence du congrès. Elle s’attaqua d’abord aux lois nombreuses qu’il avait faites pour assurer aux affranchis la possession des droits civils, lois si mal observées ou si ouvertement combattues par les autorités locales qu’elles étaient restées impuissantes dans la plupart des états du sud. Ensuite elle annula les jugemens des cours martiales, elle condamna les décisions des commandans militaires, elle déclara illégaux les emprisonnemens arbitraires auxquels on donnait pour prétexte la suspension de l’habeas corpus. Enfin elle annula le serment politique qu’une loi déjà ancienne imposait aux avocats inscrits dans les cours fédérales. Toutes ces mesures n’étaient pas également mauvaises, et la dernière surtout n’avait rien que de juste et de sensé ; mais le congrès, qui déjà nourrissait de fortes rancunes contre la cour suprême et qui avait parlé plusieurs fois de l’abolir, n’était pas disposé à reculer devant ses arrêts. A peine la décision de la cour fut-elle connue au Capitole, que la chambre l’annulait par un nouveau bill qui interdisait formellement à toute personne ayant soutenu la rébellion en quelque manière de remplir l’office d’avocat ou d’attorney devant les cours des États-Unis.

On était au 22 janvier. M. Boutwell, auteur de la proposition, demanda, suivant l’usage, la question préalable et le vote immédiat. Les démocrates protestèrent et réclamèrent la discussion : c’était un retard inutile, car la majorité était connue d’avance, et il est d’usage au congrès de renvoyer aux séances du soir tous les tournois superflus d’éloquence pour réserver les séances du matin à la prompte et vigoureuse expédition des affaires. Cependant, par politesse pure et pour ne pas avoir l’air d’étouffer la discussion, M. Boutwell consent à retarder le vote de quelques instans, et accorde successivement dix minutes, cinq minutes, deux minutes, aux divers orateurs qui demandent la parole. Ceux-ci promettent de voter la loi, si la chambre leur donne une heure de discussion ; la chambre impatientée la refuse. Ils déclarent sans hésiter qu’ils resteront, s’il le faut, toute une semaine en séance, mais qu’ils empêcheront le vote de la loi. Alors commença une de ces luttes singulières qu’on ne voit que dans les assemblées américaines, et qui ressemblent plus à un jeu d’enfans qu’à un duel entre deux partis exaspérés. Chaque fois que les républicains se levaient pour réclamer le vote, les démocrates proposaient une motion d’ajournement : à chaque motion nouvelle, il fallait faire