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opposer qu’un droit de veto impuissant, annulé qu’il était d’avance par une accablante majorité.

Ce n’est pas tout : le congrès élaborait une autre mesure beaucoup plus grave, et par l’humiliation personnelle qu’elle devait infliger au président Johnson et par les dangereuses conséquences qui pouvaient en résulter pour le pays. Une commission avait été nommée dès l’ouverture de la session pour examiner si l’on ferait le procès du président, et dans quels termes il conviendrait de formuler l’accusation. Le comité fit son rapport à la chambre des représentans, et conclut à l’impeachment pour une foule de raisons trop longues à énumérer. La chambre approuva ces conclusions séance tenante, et le comité judiciaire fut saisi de la procédure par un vote presque unanime où les républicains modérés donnèrent la main aux radicaux. C’était la première fois qu’on osait prendre une pareille mesure contre un président des États-Unis.

C’est pour nous un curieux spectacle que celui d’une assemblée qui se prépare à destituer le premier personnage de l’état comme le plus minime des fonctionnaires et à le chasser du gouvernement avant l’expiration de son pouvoir. Accoutumés que nous sommes à des pratiques toutes différentes, nous serions certainement moins étonnés si c’était le pouvoir exécutif qui s’avisât de congédier les chambres et de gouverner le pays sans elles. Tel est pourtant le seul moyen qu’ait inventé la constitution américaine pour trancher les disputes du président et du congrès ; mais on conçoit que cette arme formidable ne pouvait pas être d’un usage quotidien. La déposition du président était une chose autrement grave que ces simples votes de blâme qui, dans les gouvernemens constitutionnels, entraînent pacifiquement la chute d’un ministère. Avant d’avoir recours à cette ressource extrême, avant d’encourir une aussi lourde responsabilité devant son pays et devant l’histoire, le congrès avait dû faire des réflexions sérieuses. On ne peut pas croire que cette grande assemblée n’ait obéi, comme on l’a prétendu, qu’à de mesquines jalousies personnelles ou même à des rancunes très légitimes. Il n’est pas probable non plus que, par cette déchéance solennelle du chef de la république, elle entendît châtier uniquement ces peccadilles administratives que la compétition du pouvoir fait commettre à tous les partis. Les principaux chefs d’accusation étaient la résistance du président au congrès, le mauvais usage, qu’il avait fait du droit de grâce, les mouvemens administratifs opérés pour le succès des élections, la corruption, la vente des places, et bien d’autres encore. A vrai dire, ce n’étaient là que des prétextes mis en avant pour déguiser la seule raison véritable, la plus forte en bonne justice, quoique la plus faible aux yeux de la loi, je veux dire la résistance aveugle, haineuse, obstinée,