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avec raison que la déposition du président était une mesure bien grave, bien périlleuse, qu’elle fonderait pour l’avenir un précédent funeste, que la constitution, en permettant au congrès la procédure de l’impeachment contre le chef du pouvoir exécutif, avait entendu en faire une menace plutôt qu’une arme offensive, et qu’il ne fallait s’en servir qu’en cas d’extrême nécessité. Ils pensaient que l’opinion publique pouvait bien y applaudir dans un moment de colère, mais qu’elle ne tarderait pas à se raviser, et à en faire un sujet de reproche au parti qui l’aurait votée. Ils ajoutaient que le président ne pouvait plus se défendre, qu’on lui attribuait des projets de résistance et de coups d’état chimériques, et qu’il céderait bientôt à la volonté du congrès. L’amendement constitutionnel ne tarderait pas alors à être ratifié par la grande majorité des états, et la concorde serait rétablie entre les pouvoirs sans aucune de ces mesures violentes qui nuisent toujours aux libertés publiques et à la considération d’un peuple.

M. Johnson se hâta de leur donner un démenti. Son message aux deux chambres ne se ressentit nullement de l’humiliation qu’il venait de subir. Il n’y prenait plus, à la vérité, ce ton impérieux et superbe auquel il avait habitué ses adversaires ; mais il ne laissait pas pressentir la moindre velléité d’accommodement. Au contraire, feignant d’ignorer et les mesures prises par les radicaux et les argumens par eux opposés à sa politique, il leur recommandait, comme toujours, l’admission des représentans du sud au sein du congrès. En même temps il excitait l’opposition des rebelles. La législature de l’Alabama repoussait l’amendement constitutionnel, les autres lois du congrès restaient impuissantes devant la conspiration de désobéissance générale qui recevait son mot d’ordre de la Maison-Blanche. Les états du sud imitaient l’orgueilleux silence et la résistance passive du président.

Mais déjà les radicaux exaspérés ne pouvaient plus se contenter de l’amendement. Dans un caucus préliminaire tenu le 1er décembre au Capitole, ils avaient préparé une série de mesures qui fermaient tout retour à M. Johnson. Ce nouveau programme, rédigé en grande partie par M. Thaddeus Stevens, le leader énergique du parti républicain dans la chambre, était le plus violent que les radicaux eussent jamais adopté. Il s’agissait d’abord de proposer une loi qui assurât le succès de l’amendement constitutionnel en écartant l’influence des états du sud et en ne subordonnant l’adoption qu’au vote des trois quarts des états actuellement représentés au congrès. Cette mesure en appelait une autre : elle supposait l’anéantissement des états du sud et la négation même de leur existence. Aussi devait-on proposer en même temps la destruction des gouvernemens d’état rétablis par le président et les remplacer par des