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sage qu’on n’a peut-être pas oublié. Pour le soustraire à la contradiction systématique du président, ils l’avaient mis sous la forme d’un amendement constitutionnel indépendant des entraves du veto présidentiel et soumis en revanche à la ratification des états. Il n’y avait rien dans ce nouveau programme qui fût absolument contraire à l’opinion connue du président. Il n’empiétait pas d’une manière choquante sur l’indépendance des états du sud. Il prescrivait seulement que la possession des droits civils serait sérieusement garantie aux nègres, que le nombre des députés envoyés au congrès par chacun des états de l’Union serait dorénavant proportionnel au nombre des citoyens investis du droit électoral, que les principaux serviteurs de la rébellion seraient privés jusqu’à nouvel ordre de l’exercice de leurs droits politiques. Il laissait donc aux états du sud la libre dispensation du suffrage, tout en les encourageant à ne pas s’en montrer avares envers leurs esclaves affranchis. Les radicaux faisaient un grand sacrifice en réduisant leurs demandes à des termes aussi modérés, et ils espéraient que le président y répondrait de son côté par des concessions pareilles. La seule clause vraiment rigoureuse et regrettable était celle qui atteignait la capacité politique des anciens serviteurs du gouvernement confédéré. Encore le congrès lui-même avait-il senti le besoin de l’adoucir ; nul doute qu’en usant de toute son influence le président n’eût réussi à obtenir un nouvel adoucissement. Il avait mieux aimé déclarer la guerre à l’amendement tout entier ; il en avait appelé au peuple de la tyrannie des radicaux, et le peuple lui répondait en envoyant les radicaux siéger en foule dans le congrès.

Lorsque les chambres se réunirent l’année dernière, après les élections qui renouvelaient leurs pouvoirs, la position de M. Johnson était à peu près désespérée. Il avait perdu dans cette triste campagne jusqu’à l’ombre d’une popularité depuis longtemps compromise ; il avait manqué une occasion précieuse de faire la paix avec les radicaux sans leur laisser les honneurs de la guerre. Ceux-ci revenaient maintenant au Capitole plus audacieux et plus terribles, avec tout l’orgueil que leur inspirait leur récent triomphe. Les assemblées nouvellement élues ne devant se réunir qu’au printemps de l’année suivante, c’était à l’ancien congrès qu’était confiée la tâche de consolider sa victoire. Pleins d’une confiance sans bornes, les chefs des républicains déclaraient hautement que l’heure des ménagemens était passée, et que la session ne s’achèverait pas sans la déposition du président. Celui-ci faisait bonne contenance ; on le croyait décidé à repousser à coups de fusil l’agression du congrès. Il semblait qu’on touchât au moment suprême, et qu’avant peu l’un des combattans dût rester sur le carreau. Pourtant les modérés n’avaient pas perdu toute espérance. Ils disaient