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recourir aux moyens extrêmes qui seuls pourraient ramener l’harmonie au sein du gouvernement. Le président et le congrès, chacun dans sa forteresse, se tiennent à l’abri de leurs droits constitutionnels et se bombardent du Capitole à la Maison-Blanche à grands coups de lois, décrets et messages, sans que cette canonnade produise en apparence aucun effet. Le fossé qui les sépare a l’air de se creuser tous les jours. L’antagonisme des partis devient de plus en plus irrémédiable, sans qu’aucune solution nouvelle jaillisse de leurs disputes et termine leurs embarras.

Est-ce à dire que le gouvernement de la démocratie soit condamné par sa nature même au désordre et à la faiblesse ? En aucune façon. La démocratie a bien prouvé, soit dans cette révolution d’Amérique elle-même, soit dans les rares et violentes irruptions qu’elle a faites parmi nous, qu’elle savait être aussi active, aussi énergique, aussi persévérante que les gouvernemens absolus ; mais elle est lente à se résoudre et longue à délibérer. L’opinion publique qui la gouverne a besoin de temps pour se former ; les partis qui la servent ont besoin de temps pour se reconnaître et s’organiser. Ils ne se mettent jamais en campagne avant de savoir ce qu’ils veulent et comment ils peuvent l’obtenir. On doit se défier d’un peuple ignorant, à peine émancipé d’une longue obéissance, qui n’a que ses instincts pour principes et ses rancunes pour opinions ; mais dans une démocratie forte, régulière, sûre de sa puissance et sans inquiétude pour son avenir, ces longs troubles politiques dont le spectacle nous étonne ne sont que de longues délibérations populaires. Pendant qu’on pérore sur la place publique et qu’on s’injurie dans les assemblées, les questions s’élaborent, les opinions mûrissent, les difficultés même finissent par s’évanouir.

Tel est le spectacle intéressant que nous offre cette année le gouvernement des États-Unis. Il ne faut pas croire que ces agitations aient été stériles, parce qu’elles n’ont amené le triomphe d’aucun parti. Les choses ont avancé depuis l’année dernière. La grande révolution sociale à laquelle un pouvoir dictatorial ou monarchique aurait imposé depuis longtemps quelque solution hâtive, révoquée ou renversée dès le lendemain, se poursuit et s’achève à travers tous les obstacles. La pacification aurait marché plus vite, si la mort mille fois regrettable du président Lincoln n’avait mis le pouvoir exécutif entre les mains d’un homme à la fois violent et mobile, maladroit et obstiné, dont le caractère ombrageux était mieux fait pour provoquer une guerre civile que pour l’éteindre. Les rancunes excessives de l’ancienne faction abolitioniste ont aussi contribué pour une grande part à prolonger et à envenimer la lutte. Malgré les fautes commises de part et d’autre, il y a