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comprendre l’intensité du sentiment national. — Les hommes d’affaires et les industriels désirent l’union économique avec le nord, parce que les débouchés du Zollverein leur sont indispensables, et qu’ils espèrent prendre part au remarquable développement de l’industrie en Prusse pendant ces dernières années[1]. Tout fait donc croire que tôt ou tard les deux tronçons se réuniront en une seule confédération, comme cela a été depuis mille ans. Les Allemands soutiennent que le traité de Prague n’y fait pas obstacle. Le but de ce traité, disent-ils, est de garantir aux états du sud une existence nationale et de leur permettre de constituer une fédération indépendante ; mais s’ils n’en veulent point et s’ils désirent profiter de leur indépendance pour s’unir librement à leurs frères du nord, qui peut le leur interdire ? On a voulu brider les convoitises prussiennes, non priver le sud de sa liberté d’action[2].

Quel est l’intérêt de la France dans cette question ? M. Forcade l’a parfaitement défini quand il a dit : « L’unité allemande avec le despotisme pourrait être un danger ; sous un gouvernement libre, elle n’a rien qui doive alarmer. » Or il est presque certain que la fusion du nord et du sud aurait pour effet d’assurer le triomphe définitif de la liberté. Aujourd’hui malheureusement l’Allemagne n’a qu’une pensée, concentrer ses forces pour défendre son territoire. Inquiète, elle regarde sans cesse à l’horizon pour voir si les « pantalons rouges » n’ont pas franchi le Rhin. La France, se dit-elle, est un pays mûr pour la liberté et avide de la posséder. Le seul moyen de

  1. A l’exposition universelle de cette année, la Prusse avait eu l’idée ingénieuse de montrer d’une manière sensible les progrès de quelques-unes de ses industries. Des cubes superposés en cuivre doré représentaient la quantité d’or pur que valaient les produits des mines de métaux à différentes époques. Le progrès est remarquable. La valeur annuelle moyenne était de 25,000,000 fr. dans la période décennale 1835-1844, de 46,700,000 dans celle de 1845-1855, de 123,600,000 dans celle de 1855-1864, enfin de 180,750,000 dans l’année 1865. Pour les usines travaillant les métaux, la progression est aussi très frappante. La valeur de leurs produits montait en 1839 à 45 millions, en 1851 elle atteint 100 millions, et en 1865 300 millions. L’accroissement est constant : il est d’abord de 15 millions, puis de 30 millions par an.
  2. Voyez entre autres les écrits suivans des auteurs les plus considérables : Die Neugeslaltung von Deutschland (1867), par M. Bluntchli, conseiller en Wurtemberg ; Der Anschluss Suddeutschland an den norddeutschen Bund (1867) ; Die Verfassung des norddeutschen Bundund die wurtembergische Freiheit (1867), par R. Römer, représentant. Voici d’ailleurs le texte de l’article IV du traité de Prague : « Sa majesté l’empereur d’Autriche reconnaît la dissolution de l’ancienne confédération germanique et donne son assentiment à une nouvelle organisation de l’Allemagne sans la participation de l’état impérial autrichien. Sa majesté promet également de reconnaître les rapports étroits de fédération que sa majesté le roi de Prusse établira au nord de la ligne du Mein, et de consentir à ce que les états allemands situés au sud de cette ligne forment une union ? dont le lien national avec la confédération du nord demeure réservé à une entente ultérieure, et cette union aura une existence internationale indépendante. »